Cara Avocats

IP Box : le juge commence enfin à baliser un régime encore largement inexploré

Introduit par la loi de finances pour 2019, le régime de faveur de l’article 238 du CGI devait constituer l’un des piliers de l’attractivité fiscale française en matière d’innovation. Six ans plus tard, force est de constater que ce dispositif dit de « IP Box » demeure encore peu mobilisée par les entreprises, à la fois par méconnaissance et en raison de sa technicité. La jurisprudence, jusqu’ici quasi inexistante, n’avait guère contribué à lever ces incertitudes.

Un jugement récent du tribunal administratif de Paris vient opportunément apporter des clarifications structurantes, tant sur les modalités d’exercice de l’option que sur l’étendue réelle des obligations documentaires.

Un régime incitatif… encore confidentiel

Le régime prévu à l’article 238 du CGI permet, sur option, de soumettre à un taux réduit de 10 % le résultat net tiré de la concession ou de la cession de certains actifs de propriété intellectuelle : brevets, certificats assimilés, logiciels protégés par le droit d’auteur et, sous conditions, procédés industriels.

Conçu dans le sillage des travaux de l’OCDE (Action 5 – BEPS), le dispositif repose sur une mécanique exigeante : isolement des revenus éligibles, identification des dépenses de R&D directement rattachables, puis application du fameux ratio « nexus », censé refléter la réalité des travaux menés en France.

Si l’objectif économique est clair, la mise en œuvre pratique s’est révélée dissuasive pour nombre de groupes. Option par actif ou famille d’actifs, articulation avec le CIR, documentation spécifique, irrévocabilité en cas de sortie : autant de paramètres qui expliquent une appropriation encore timide du régime.

Un contentieux révélateur des zones grises du dispositif

C’est dans ce contexte qu’intervient le litige soumis au tribunal administratif de Paris. Une société éditrice d’une solution logicielle exploitée en mode SaaS n’avait pas opté pour l’IP Box lors du dépôt de ses déclarations de résultats pour 2019 et 2020. Elle a ultérieurement sollicité, par voie de réclamation contentieuse, l’application rétroactive du régime afin de bénéficier du taux réduit.

L’administration fiscale a opposé un refus, articulé autour de deux arguments désormais classiques :

  • L’absence d’option initiale constituerait une décision de gestion irrévocable,
  • La société n’aurait pas produit la documentation exigée par l’article L. 13 BA du LPF.

Au-delà du cas d’espèce, le contentieux offrait au juge l’occasion de se prononcer sur des questions encore largement ouvertes.

Option IP Box : ni piège déclaratif, ni décision de gestion

Sur le terrain de l’option, l’administration soutenait que l’omission initiale équivalait à un choix de gestion opposable au contribuable, interdisant toute régularisation ultérieure.

Le tribunal rejette clairement cette position.

En se fondant sur la lettre de l’article 238 du CGI et sur les travaux parlementaires de la loi de finances pour 2019, il relève que le législateur n’a jamais entendu enfermer l’exercice de l’option dans un délai strict à peine de forclusion, ni subordonner le bénéfice du régime à une demande formulée exclusivement lors du dépôt de la liasse fiscale.

En l’absence de texte prévoyant une déchéance expresse, le contribuable conserve donc la faculté de revendiquer le régime par voie de réclamation contentieuse, dans le délai de droit commun prévu à l’article R. 196-1 du LPF.
La qualification de décision de gestion ne saurait être invoquée pour rigidifier artificiellement un dispositif à vocation incitative.

L’obligation documentaire : une exigence à son juste niveau

L’administration reprochait également à la société de ne pas avoir fourni, dès le stade de la réclamation, la documentation détaillée exigée par l’article L. 13 BA du LPF (description de la R&D, traçabilité des actifs, calcul du ratio nexus).

Le tribunal opère ici une distinction fondamentale.

Il rappelle que cette obligation documentaire est une obligation de tenue à disposition, applicable uniquement en cas de vérification de comptabilité. Elle ne peut être exigée comme condition préalable à l’exercice de l’option ou à la recevabilité d’une réclamation contentieuse.

Le parallèle avec la documentation prix de transfert est éclairant : si le document n’a pas à être spontanément produit, il doit néanmoins exister. En pratique, mieux vaut qu’il soit préparé de manière contemporaine, tant les reconstructions a posteriori sont sources de fragilité en cas de contrôle.

Logiciels et SaaS : une éligibilité confirmée, sous conditions

L’arrêt présente également un intérêt particulier pour les éditeurs de logiciels, et plus spécifiquement pour les modèles SaaS. Le tribunal admet que le logiciel concerné, protégé par le droit d’auteur, entre bien dans le champ de l’article 238 du CGI, y compris lorsque sa diffusion s’opère via une solution hébergée.

Encore faut-il, précise implicitement le juge, isoler rigoureusement les revenus de concession de licences, en excluant les prestations annexes telles que l’hébergement, la maintenance ou l’assistance. Cette segmentation contractuelle et financière demeure un prérequis incontournable.

La preuve de fond comme boussole du juge

Si le tribunal se montre souple sur le plan formel, il n’en demeure pas moins exigeant sur le fond. Il relève que la société a produit des éléments probants suffisants pour établir son droit au régime :

  • La nature du logiciel et sa protection par le droit d’auteur,
  • L’isolement des revenus éligibles,
  • La réalité et le montant des dépenses de R&D,
  • Un calcul du ratio nexus cohérent avec les déclarations de Crédit d’Impôt Recherche.

Ce faisceau d’indices permet au juge de privilégier la substance économique et technique sur une lecture excessivement formaliste du dispositif.

Une décision fondatrice dans un paysage jurisprudentiel naissant

La portée de cette décision dépasse largement le cas d’espèce. Elle s’inscrit parmi les premières décisions de fond venant structurer un régime encore jeune, dont la jurisprudence demeure embryonnaire.

À l’heure où l’IP Box fait régulièrement l’objet de débats budgétaires et de tentatives de durcissement, ce jugement contribue à restaurer un minimum de sécurité juridique, condition indispensable à l’appropriation du dispositif par les entreprises.

Notre lecture

Le tribunal administratif de Paris ne consacre ni un droit à l’approximation, ni une IP Box « sans contraintes ». Il rappelle simplement que la complexité technique du régime ne saurait justifier une lecture restrictive dépourvue de fondement légal.

L’option n’est pas un piège déclaratif, l’obligation documentaire n’est pas une arme procédurale, et la réalité de la R&D demeure la clé de voûte du dispositif.
Dans un environnement encore marqué par l’incertitude et la rareté des décisions, cet arrêt constitue une première balise jurisprudentielle bienvenue, susceptible d’encourager une utilisation plus maîtrisée – et plus assumée – de l’IP Box en France.