Certains serpents de mer ressurgissent à chaque fois que l’on remue les fonds des bassins les plus croupis. Il en est ainsi des niches fiscales, à nouveau réétalés sur le billot à l’heure où les premiers bilans mettent en lumière une explosion des dépenses publiques et des projections économiques plus moroses encore que prévues. Concomitamment à l’annonce du déficit budgétaire qui va gonfler à 117% du PIB français, voilà que la Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation (la « Cnepi »), une instance chapeautée par France Stratégie, l’organisme d’évaluation et de prospective rattaché à Matignon, publie un rapport critique sur l’efficacité du Crédit d’Impôt Recherche.
L’efficacité du CIR contestée
Dans ce rapport de 138 pages, la Cnepie dresse le constat que malgré sa position de première niche fiscale française (6,6 milliards d’euros de dépenses estimées en 2020) le CIR produirait des effets très discutables sur toute une série d’indicateurs.
Concernant l’attractivité de la France d’abord, la Commission soutient que le CIR participe effectivement à freiner les délocalisations, mais sans les enrayer. Il est un fait que notre outil industriel n’a eu de cesse de fondre comme neige au soleil et qu’à l’inverse, aucun géant des nouvelles technologies ou des secteurs innovants n’a établi son siège sur notre territoire au cours de cette dernière décennie. Pis, le rapport met en lumière que des pays comme les Etats-Unis, la Corée du Sud, l’Allemagne, les Pays-Bas, ou encore la Suède, qui ne disposent pas de régimes fiscaux similaires, enregistrent davantage d’investissements dans la recherche que la France. Par extension, les entreprises de ces pays déposent aussi plus de brevets que leurs concurrents français et sont mieux représentés dans les pelotons de tête des secteurs industriels qu’ils occupent.
Sur le terrain des agrégats financiers, la Cnepie met en avant que le CIR n’a pas non plus produit d’effets notables sur le chiffre d’affaires des entreprises, ni de gains record en valeur ajoutée. Il s’en suit mécaniquement un remploi décourageant dans les outils de production ou l’emploi, deux thèmes majeurs dans les plans de relance actuels. Pour cause, le CIR profite d’abord et avant tout aux PME, moins aux ETI et aux grands groupes, et ce contrairement à l’image d’Epinal qu’on pourrait avoir classiquement des avantages fiscaux réservés aux entreprises.
Le mauvais débat
Faut-il alors supprimer le CIR et le sacrifier sur l’autel de la dette Covid ? La Cnepie se garde de toute suggestion sur ce point, et laisse à Matignon le soin de tirer toutes les conséquences de ce bilan en trompe l’œil. Car ne nous trompons pas : ce sujet du maintien ou non du crédit d’impôt recherche reflète parfaitement l’hypocrisie de notre système fiscal applicable aux entreprises.
Rappelons d’abord, pour poser le sujet dans son environnement, que c’est la science et l’innovation qui ensemble, sont en train de sauver nos économies de la crise qui les frappe depuis maintenant plus d’un an. Il n’y aurait pas de vaccins, pas de moyens modernes d’analyse rapides et fiables ; pas d’outils digitaux à l’instar des applications multiplateformes de prise de rendez-vous et de suivi des stocks de vaccins, sans efforts de recherche et de développement. Il est donc nécessaire d’encourager ces activités et ces secteurs et de les préserver de l’asphyxie fiscale. Les médisants répondront sans doute que le premier bénéficiaire du CIR, à savoir le groupe Sanofi, est le seul géant du secteur pharmaceutique qui n’a pas développé son vaccin. Certes. Mais les éclairés vous le diront : les choix de recherche et de sélection des projets découlent dans ce secteur d’une énorme prise de risque, et relèvent parfois du coup de poker. On ne gagne pas à tous les coups.
Aussi et surtout – et nous nous garderons de tout mauvais jeu de mots – le problème n’est pas la cure, c’est la maladie. L’inefficacité toute relative du CIR est à mettre en perspective du poids de la fiscalité actuelle qui pèse sur les entreprises. Supprimer le CIR reviendrait en effet mécaniquement à augmenter l’impôt sur les sociétés pour les entreprises qui en bénéficient actuellement, alors même que notre pression fiscale demeure toujours la plus forte au monde. La faute revient à l’enchevêtrement d’impôts et de taxes qui portent sur des assiettes communes, et la multiplication des prélèvements non déductibles, masquant par la même occasion une double, voire triple imposition des mêmes valeurs. Malgré la mise en œuvre du calendrier de baisse progressive du taux d’IS, les impôts de production demeurent encore exorbitants, loin devant ceux de nos voisins européens, et plus encore de ceux des Etats cités plus hauts qui ne disposent pas du CIR dans leur arsenal fiscal. Il en résulte un tissu industriel largement dégradé dans l’hexagone, alors même que la recherche et le secteur productif sont nécessairement et intrinsèquement liés.
Repenser le CIR
Plutôt que de le condamner trop rapidement, le CIR doit au contraire et probablement être repensé. D’abord dans son champ d’application : les méandres de ce dispositif en ont rapidement fait un des axes privilégiés de contrôle fiscal, et tant la doctrine administrative traitant du sujet que les décisions jurisprudentielles de ces dernières années sont devenues foisonnantes. Bien malin est le fiscaliste qui arrive à retrouver son chemin dans ce jeu de pistes labyrinthique qu’est devenu le cadre réglementaire du CIR !
En outre, son efficacité devra sans doute être appréhendée à la lumière du régime fiscal privilégié applicable aux brevets et inventions assimilées, qui le complète parfaitement. Pour l’heure, ce nouveau régime visé à l’article 238 du Code général des impôts est encore trop neuf pour en apprécier correctement la portée. Il est cependant probable que couplé avec le CIR, ce nouveau régime d’inspiration internationale produira des effets intéressants pour les entreprises tournées vers l’innovation. Il sera alors toujours temps de réexaminer l’efficacité du CIR. Tandis que la science nous démontre actuellement son importance dans nos vies, gardons-nous bien de décourager les efforts de recherche.