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La France championne du monde…du zèle en matière de prix de transfert

Rarement le contribuable n’avait été habitué à une telle succession de textes en un ordre si rapproché. Après que la Loi de Finances pour 2018 ait profondément remodelé l’obligation documentaire en matière de prix de transfert contenue à l’article L13 AA du Livre des procédures fiscales (2) , l’Exécutif a publié un décret le 29 juin 2018 visant à préciser bon nombre de ses dispositions (3) . Dans la foulée, visiblement peu ralentie par les absences estivales, l’administration a rapidement mis à jour sa doctrine fiscale (4) . Dans son ardeur, il est d’ailleurs intéressant de relever qu’elle a écrasé sa doctrine précédente, pourtant toujours applicable aux exercices ouverts jusqu’au 31 décembre 2017 et donc, toujours susceptibles d’être vérifiés.

 

Les prix de transfert : le cœur de cible des administrations fiscales

Coupons immédiatement court à tout doute : l’entrain avec lequel le Législateur, l’Exécutif et l’administration ont fait naître puis précisé cette obligation documentaire, retentit haut et fort comme la volonté sans équivoque de faire des prix de transfert un axe prioritaire des contrôles fiscaux à venir. Certes, la matière figurait déjà en bonne place sur la liste de course des inspecteurs des impôts, lorsqu’à l’occasion de la première visite, ceux-ci exposaient les axes de leurs vérifications. Cependant, l’implication combinée des pouvoirs et la rapidité avec laquelle les textes sont parus démontrent que l’administration s’attend à ce que les contribuables soient en mesure de produire des documentations exhaustives pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2018.

Peut-être faut-il voir dans cet excès de zèle une volonté de poursuivre l’œuvre du directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE à l’origine du programme BEPS qui, rappelons-le, est issu de la Direction de la Législation fiscale. Toujours est-il : la documentation des prix de transfert sera désormais indéniablement plus fastidieuse qu’elle ne l’était, et appellera à concentrer des efforts et des ressources auxquels bon nombre d’entreprises ne sont jusqu’à présent pas préparées.

La doctrine n’outrepasse-t-elle pas son rôle ?

On soulignera que la doctrine produit un certain nombre d’exemples bienvenus sous certaines sections, dont la lecture semblait jusque-là très sibylline. En ce sens, le Bofip remplit parfaitement son rôle en apportant des éclairages nécessaires aux dispositions prévues par la Loi de Finances pour 2018. Reste toutefois à espérer que les autres pays ayant transposé l’Action 13 partagent ces mêmes définitions.

Car c’est là que le bât blesse. Le nouvel article L13 AA du LPF étant plaqué sur le modèle consacré par l’OCDE (5) , la doctrine administrative française risque de reformater, par ses nombreux éclairages et suggestions de présentation, l’esprit qui a animé initialement le Comité des affaires fiscales. Qui peut affirmer en effet que l’ordonnancement des informations telle que décrite désormais dans le Bofip correspond à ce que les autres pays ayant adopté l’Action 13 du plan BEPS, parfois même avant la France, ont entendu requérir de leurs contribuables ?

Enfin, le Bofip tente de glisser quelques éléments d’information additionnels qui, pourtant, ne figurent pas dans la loi. Il en est ainsi de la « description de l’environnement concurrentiel » (6)  qui, bien que figurant dans le modèle OCDE, avait été abandonnée dans le nouveau millésime de l’article L13 AA. Certainement que l’objectif était de réparer une omission malheureuse, induite par la préparation précipitée du texte de loi. Il n’empêche, en agissant de la sorte, la doctrine administrative vient ajouter à la loi, ce qui juridiquement, lui est interdit.

Les principes OCDE intègrent la hiérarchie des normes

Le point ravira les femmes et hommes du droit qui, avec les économistes, revendiquent la filiation avec la matière des prix de transfert. Il est intéressant de noter en effet que le Bofip fait plusieurs références expresses aux principes OCDE.

Jusqu’à présent, la doctrine administrative ne citait les principes OCDE que pour éclairer la notion de pleine concurrence vers laquelle doivent impérativement tendre toute transaction intragroupe. Désormais, la doctrine confirme sans détour que la loi a été directement empruntée des travaux de l’OCDE. Plus encore, elle assoit le fait que les éclairages apportés par l’OCDE sur le terrain documentaire servent, tout comme elle, à comprendre les ressorts de l’article L13 AA. Ce faisant, on peut désormais affirmer sans ciller que les principes OCDE occupent désormais une place réelle dans la hiérarchie des normes françaises. Cette place, qu’on serait tenté de placer au niveau de la doctrine, permettrait dès lors juridiquement d’opposer à l’administration fiscale les principes directeurs, sans pour autant que ceux-ci ne puissent ajouter ou contrevenir à la loi ou aux décrets.

Le fantasme de l’automatisation

La lecture attentive du Bofip (et du décret avant lui) interpelle sur le degré de détail qui est désormais attendu par l’administration fiscale. La documentation, qui devait par l’action de l’OCDE devenir standardisée, revêt désormais en France une dimension inédite. Qui plus est, il conviendra de mettre régulièrement à jour la documentation, remettant sans cesse l’ouvrage sur le métier.

Dans cet environnement, on voit poindre ci et là des outils informatiques permettant d’automatiser et standardiser la rédaction des Fichiers Principal et Local, et de les mettre à jour régulièrement. Disons-le tout de go : la nature des informations requises dans ces documents, de même que leur source et la capacité de les articuler, doivent interpeler les entreprises sur les options réalistes qui s’offrent à elles. Pour l’heure, nous doutons en effet de la capacité d’un robot à se substituer à un expert capable de poser les bonnes questions, récolter l’information et la digérer intelligemment pour non seulement remplir la nouvelle documentation, mais aussi ne pas mettre l’entreprise en défaut sur certains sujets.

Certes, le Bofip suggère de présenter certaines sections sous forme de tableau. La proposition est louable est tente d’alléger la charge documentaire déjà très fournie. Pour autant, la présentation matricielle de l’information ne retire en rien la subtilité dont il faut faire preuve pour récupérer les données et les traiter efficacement. En effet, l’information est très rarement disponible en l’état, de sorte qu’un aspirateur de données, même animé par une intelligence artificielle, ne peut remplacer les entretiens fonctionnels et la capacité de discerner l’utile du dangereux que seul l’analyse humaine peut encore assumer.

Enfin, la documentation prix de transfert se place à l’opposé d’un produit de commodité. Le Fichier Principal a vocation à circuler entre les mains des administrations fiscales de tous les Etats d’établissement et s’impose comme le profil fiscal le plus complet et universel jamais produit. La nouvelle dimension que la documentation incarne et les enjeux stratégiques et financiers qui lui sont attachés commandent donc la plus grande prudence. A rebours de l’automatisation et de la digitalisation, nous pensons que l’exercice documentaire tel que nouvellement décrit dans le Bofip nécessite plus que jamais une approche personnalisée.

Comment gérer efficacement la documentation prix de transfert

Les proportions qu’a prise la nouvelle documentation prix de transfert doivent encourager les entreprises à anticiper la préparation du Fichier Principal et Local. Il est un fait que cette nouvelle obligation ajoutera au poids déjà élevé des contraintes documentaires et déclaratives qui pèsent sur les contribuables.

En pratique, nous suggérons de mobiliser des ressources internes permettant de conduire les entretiens, compiler les informations, les digérer et les croiser avec les contrats et les états financiers. Ces personnes devront en outre assurer le dépôt ou l’envoi des rapports dans les temps, selon les calendriers (souvent différents) adoptés par les Etats d’établissement du groupe.

Si la préparation est sous-traitée à des cabinets externes, le défi pour ceux-ci sera d’offrir une assistance de qualité, en contrôlant les budgets par rapports aux travaux documentaires faits auparavant et ce, malgré la charge réelle de travail complémentaire qu’induit ce nouveau millésime.

Il n’en demeure pas moins que dans sa doctrine boulimique, l’administration fiscale française a jeté les bases d’une documentation extrêmement complète, peut-être même la plus exhaustive au monde. Que les contribuables se rassurent donc : s’ils sont capables de produire une documentation pour les besoins français, il leur sera alors beaucoup plus aisé de la répliquer pour les autres Etats d’établissement

(paru dans Les Nouvelles Fiscales Lamy, n°1229, 1er octobre 2018 1

(1)Avec l’aimable autorisation de Madame Sabine Dubost, Responsable de collection Droit fiscal et Sociétés.
(2) Loi 2017-1837 du 30 décembre 2017, art. 107.
(3) Décret 2018-554 du 29 juin 2018.
(4) BOI-BIC-BASE-80-10-40-20180718, publiée le 18 juillet 2018.
(5) Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, juillet 2017.
(6) BOI-BIC-BASE-80-10-40-20180718, § 340.

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