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Taxation des multinationales à 25 % : un coup de tonnerre fiscal qui bouscule l’ordre international

Un amendement adopté à contre-courant. Contre toute attente, l’Assemblée nationale a adopté un amendement porté par le groupe La France Insoumise, instaurant une taxation des bénéfices mondiaux des multinationales à un taux effectif de 25 %.

Cette mesure, introduite à l’article 209, XI du CGI, a été votée malgré l’avis défavorable du Gouvernement et du Rapporteur général – et fait déjà trembler les fondements du droit fiscal international.

En rompant avec les conventions fiscales signées par la France et avec le consensus multilatéral de l’OCDE sur le Pilier II (taux minimal mondial de 15 %), la France s’isolerait fiscalement, au risque d’ouvrir une ère de contentieux et de double imposition sans précédent.

Un amendement hors des clous conventionnels

Le mécanisme voté prévoit que les sociétés françaises seraient imposées sur leurs bénéfices mondiaux, ventilés selon un ratio « chiffre d’affaires français / chiffre d’affaires mondial ». La part ainsi attribuée à la France serait ensuite taxée à 25 %.


L’intention affichée est claire : s’attaquer à l’optimisation fiscale agressive, estimée par les auteurs de l’amendement entre 80 et 100 milliards d’euros par an, notamment via les prix de transfert.

Mais le dispositif heurte de plein fouet deux principes cardinaux :

  • Les conventions fiscales bilatérales : elles répartissent le pouvoir d’imposition selon la localisation des activités et interdisent la double imposition. En vertu de l’article 55 de la Constitution, ces conventions priment sur la loi interne ; leur méconnaissance exposerait l’État à des remboursements massifs.
  • Le consensus OCDE / UE : la Directive Pilier 2 (2022/2523) impose un taux minimum de 15 %, fruit d’un accord mondial laborieusement obtenu entre 140 pays. Une taxation unilatérale à 25 % rompt cet équilibre fragile et expose la France à des représailles économiques ou à des migrations d’entreprises vers des juridictions « conventionnelles ».

Entre volontarisme politique et isolement juridique

Ce n’est pas la première fois que la France affiche une volonté d’aller plus loin que ses partenaires en matière de justice fiscale.

Mais en l’espèce, le pas franchi est inédit : on passe d’une logique de coopération internationale à une logique de souveraineté punitive.

Le Rapporteur général a lui-même alerté sur la double imposition mécanique qui découlerait du dispositif : une même fraction de bénéfice pourrait être taxée à la fois dans l’État d’origine et en France, faute d’accord d’élimination.

Quant au Ministre de l’Économie, il a résumé la situation d’une formule lapidaire : « Ce texte ne rapportera pas 20 milliards d’euros, mais 20 milliards d’ennuis ».

Le fragile équilibre du Pilier II mis à mal

Pour mémoire, le Pilier II de l’OCDE repose sur un taux effectif minimum de 15 % pour les groupes dont le chiffre d’affaires consolidé dépasse 750 millions d’euros.
L’objectif : mettre fin à la course mondiale à la baisse des taux et assurer une imposition minimale cohérente.

En fixant un taux plancher unilatéral de 25 %, la France s’exposerait non seulement à des retraits d’investissement, mais aussi à une invalidation constitutionnelle.
En effet, la mesure entre directement en contradiction avec la hiérarchie des normes : une loi fiscale ne saurait écarter les stipulations d’un traité régulièrement ratifié.

Analyse critique : le symbole d’un malaise fiscal

Derrière cette initiative, c’est tout le débat sur la légitimité de la fiscalité internationale qui resurgit : entre perception d’injustice et respect des engagements multilatéraux.

Le volontarisme politique ne peut ignorer le principe de pleine concurrence, pierre angulaire du droit conventionnel et des prix de transfert.

À défaut d’une refonte coordonnée, l’unilatéralisme français risque d’affaiblir la crédibilité du pays sur la scène internationale et d’alimenter un nouveau contentieux d’arbitrage fiscal.

Notre lecture

Cette adoption « surprise » illustre un phénomène récurrent : la tentation d’utiliser la loi fiscale comme un levier politique, quitte à ignorer les contraintes du droit international.
La recherche de justice fiscale ne saurait se substituer à la cohérence juridique ; or, c’est bien sur ce terrain que la mesure est la plus fragile.

Affaire à suivre, donc, entre navette parlementaire et contrôle du Conseil constitutionnel.
Mais une chose est sûre : le choc des doctrines entre souveraineté fiscale et consensus OCDE vient de franchir un nouveau palier.

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