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Opposabilité de la documentation des prix de transfert : ne faudrait-il pas revenir aux méthodes traditionnelles ?

Le projet de Loi de Finances pour 2024 prévoit de rendre opposable au contribuable le contenu de sa documentation des prix de transfert. Pour apprécier véritablement l’enjeu de cette mesure, il convient de la mettre en perspective de deux autres dispositions.

En premier lieu, le projet de loi envisage également de baisser les seuils de l’obligation documentaire. Ceci conduit donc mécaniquement à faire entrer dans le champ de cette disposition un nombre croissant de contribuables et de flux intragroupes.

En second lieu, l’obligation documentaire enjoint déjà dans sa version actuelle de produire une analyse économique complète, permettant d’attester de la nature de pleine concurrence des transactions entre entreprises liées et affectant les résultats du contribuable. En pratique, ces analyses prennent la forme de recherches de références comparables contre lesquelles étalonner la marge nette de l’entreprise réalisée à l’occasion de ces flux intragroupe (calculée comme le ratio du Résultat d’Exploitation rapporté au chiffre d’affaires, ou aux charges d’exploitation). On parle alors dans le jargon de « méthode transactionnelle de la marge nette », couplée avec un indicateur de profitabilité de type « marge d’exploitation » ou « net cost plus ».

Or, il arrive que ces analyses produisent alors un intervalle composé de références tierces et indépendantes, et donc réputé comme de pleine concurrence, dans lequel la marge de l’entreprise testée ne tombe pas. Cela est typiquement le cas lorsque la documentation est préparée par des outils informatisés ou d’intelligence artificielle (dont l’intelligence aurait alors omis le bon sens et le pragmatisme). Ce faisant, et compte tenu de l’opposabilité légale que revêtiront les documentations de prix de transfert désormais, le contribuable se place de facto dans une situation de rectification immédiate, car déclarant spontanément une situation d’anormalité.

Pour éviter l’écueil de produire une information qui se retournerait donc contre le contribuable, une réflexion consiste à revenir aux méthodes dites « traditionnelles » telles que décrites par les principes directeurs de l’OCDE et reprises encore récemment dans le millésime 2023 du « Guide à l’usage des PME – les prix de transfert ». Ces méthodes offrent en effet la possibilité d’étalonner non pas la marge nette de l’entreprise, mais sa marge brute. Dans la mesure où ces méthodes ne conduisent pas à capter des agrégats logés dans les charges d’exploitation, elles sont réputées plus fiables et plus proches de la transaction intragroupe devant être documentée et justifiée. Elles nécessitent cependant il est vrai des retraitements plus complexes que les bases de données peinent souvent à produire.

Toujours est-il, l’emploi de ces méthodes (méthode du Prix de Revente, ou méthode du Coût Majoré) devrait plus facilement permettre d’extraire un intervalle de pleine concurrence dans lequel la marge dégagée par la partie testée pourrait tomber. Il en serait notamment ainsi des entreprises dont les transactions intragroupes conduisent à des marges brutes entrant dans l’intervalle, mais dégageant un résultat d’exploitation (et donc mécaniquement, une marge nette) négatif.

Ce faisant, il nous semble que la tentative de renversement de la charge de la preuve sur le contribuable – que dissimule en vérité le renforcement de l’obligation documentaire – serait au moins en partie avortée, dès lors qu’il reviendrait alors à l’administration de produire une contre-analyse basée sur la marge nette. Compte tenu de la nature très subjective de l’exercice et de l’état de la jurisprudence actuelle, il nous semble en effet plus aisé de se placer en critique de la recherche de comparables alternative réalisée par l’administration sur la base des marges nettes. Après tout, c’est là d’ailleurs un trait français : il nous est toujours plus facile de contester que de proposer.