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Oui ! Le régime fiscal de l’« IP Box » s’applique également aux personnes physiques

Introduction

Depuis le profond remaniement opéré par la loi de finances 2019, le dispositif dit de « l’IP Box » est devenu un atout considérable œuvrant à la croissance et à la compétitivité des entreprises. En effet, le renouvellement de ce dispositif et l’extension de son champ d’application aux logiciels a apporté un vent de fraîcheur sur la scène des innovations intellectuelles. En investissant dans la recherche et le développement de nouveaux actifs incorporels, les entreprises peuvent désormais tirer des avantages fiscaux assez conséquents. Outre le bien connu Crédit d’Impôt Recherche (CIR), les entreprises assujetties à l’impôt sur les sociétés peuvent également, dès lors que certaines conditions sont remplies, opter pour une imposition séparée à un taux réduit fixé à 10 % pour les revenus tirés de la concession, sous-concession ou cession de certains actifs incorporels.
Toutefois, le régime de l’IP Box n’est pas que l’apanage des personnes morales. En effet, même si les dispositions de l’article 238 CGI ne s’appliquent pas aux inventeurs personnes physiques, ces derniers peuvent toujours profiter de cet incitatif fiscal par le biais de l’article 93 quater du CGI.
En effet, le I de ce texte prévoit que : « le régime des plus ou moins-values à long terme prévu à l’article 39 quindecies est applicable aux produits perçus par un inventeur personne physique et ses ayants droit au titre de la cession ou de la concession de licences d’exploitation d’un logiciel protégé par le droit d’auteur, d’une invention brevetable ou d’un actif incorporel qui satisfait aux conditions mentionnées aux 1°, 2° ou 4° du I de l’article 238. Par dérogation au premier alinéa du I de l’article 39 quindecies, le taux applicable aux opérations mentionnées au présent alinéa est de 10 % ».
Ainsi, les revenus tirés de l’exploitation de ces actifs incorporels par les inventeurs personnes physiques, leurs héritiers ou les particuliers qui les ont acquis gratuitement ou à titre onéreux entrent dans la catégorie des « bénéfices non commerciaux ». Ils sont, toutefois, taxés selon le régime des plus-values à long terme, à un taux atténué fixé à 10%. A l’impôt s’ajoutent cependant les prélèvements sociaux au taux de 17,20%, soit un total de captation fiscale à 27,20%.
Cependant, pour qu’une personne physique puisse bénéficier de l’« IP Box », il faut, d’abord, qu’elle satisfasse à certaines conditions (I) qui une fois remplies, vont permettre la mise en œuvre de ce dispositif fiscal de faveur (II).
Les conditions d’application de l’IP Box aux personnes physiques
Afin de pouvoir bénéficier de l’IP Box, deux conditions cumulatives doivent être remplies par le contribuable. Il est nécessaire que l’actif incorporel visé par ce dernier soit éligible (A) et que l’opération à l’origine des profits imposables s’intègre dans le champ d’application dudit régime (B).

Les actifs éligibles

Il ressort de l’article 93 quater du CGI que sont éligibles au régime de l’IP Box :
Les licences d’exploitation des logiciels protégés par le droit d’auteur, c’est-à-dire, les œuvres qui émanent de l’esprit, qui sont suffisamment élaborées et qui ont un caractère original.

Les brevets et les inventions brevetables ou les perfectionnements qui y ont été apportés. Par brevet, sont visés les titres de propriété industrielle qui confèrent à leur titulaire une exclusivité d’exploitation de l’invention brevetée par des moyens commerciaux durant un délai limité, généralement de 20 ans à compter du jour du dépôt de la demande. Les inventions brevetables, quant à elles correspondent aux créations de l’esprit qui remplissent les conditions de brevetabilité nécessaires à l’obtention d’un brevet par un Office Récepteur, c’est-à-dire les inventions qui ne sont pas expressément exclues par la loi et qui apportent une réponse à une solution technique, tout en étant nouvelles, innovantes et d’applications industrielles. Cependant, il est important de préciser que le législateur n’exige pas du contribuable de présenter un certificat de brevetabilité lors du dépôt de sa demande auprès de l’administration fiscale. En effet, celui-ci pourra toujours obtenir son agrément s’il arrive à démontrer la brevetabilité de son invention. Toutefois, une telle preuve est, en pratique, très difficile à établir, et ce, depuis l’abrogation de l’avis documentaire par la loi de finance 2023. En effet, ce document permettait à l’INPI de certifier la brevetabilité d’une invention avant même l’obtention d’un brevet définitif. Cela étant dit, l’inventeur personne physique peut toujours user d’autres possibilités. En effet, selon certains auteurs, ce dernier peut en parallèle à l’introduction de sa demande auprès de l’administration fiscale, déposer une demande de brevetabilité devant un Office Récepteur. Dans ce cas, au fur et à mesure de l’avancée de l’instruction de sa demande de brevet, il communiquera à l’administration fiscale toute preuve lui permettant d’établir la brevetabilité de son invention dont notamment le rapport de recherche et l’avis préliminaire sur la brevetabilité. Toutefois, même si ces documents profitent à l’inventeur, ils ne constituent que de simples débuts de preuve, démunis de tout caractère définitif et contraignant. Ils ne peuvent donc pas être opposables à l’administration fiscale d’autant plus qu’à ce jour, ni la jurisprudence ni la doctrine administrative ne se sont encore prononcées sur ce sujet.
Les actifs incorporels satisfaisant les conditions mentionnées au 1°, 2° et 4° du I de l’article 238 CGI. Il s’agit ici des certificats d’utilité, des certificats complémentaires de protection rattachés à un brevet, des certificats d’obtention végétale et des procédés de fabrication industriels. Toutefois, spécifiquement pour les procédés, le législateur exige qu’ils soient le résultat d’opérations de recherche, qu’ils constituent l’accessoire indispensable de l’exploitation d’une invention brevetée, d’un certificat d’utilité ou d’un certificat complémentaire de protection rattaché à un brevet et qu’ils font l’objet d’une licence d’exploitation unique avec l’invention.
Ainsi, dès lors que l’actif incorporel visé par la personne physique appartient à l’une des catégories sus mentionnées, il sera considéré comme éligible à l’IP Box. Toutefois, cette éligibilité ne suffit pas à elle seule. En effet, outre cette première condition, il faut que l’opération à l’origine des revenus imposables soit également couverte par le champ d’application de ce régime fiscal de faveur.

Les opérations couvertes par l’IP Box

Les articles 93 quater et 39 terdecies du CGI prévoient que le régime des plus ou moins-values à long terme s’applique aux produits perçus par un inventeur personne physique et ses ayants droit au titre de la cession ou de la concession de licences d’exploitation des actifs incorporels précités.
Par opération de cession, on entend toute transaction entraînant la sortie des éléments en cause du patrimoine du cédant et réalisée moyennant une contrepartie financière (en numéraire ou en nature).
Les concessions, quant à elles, couvrent tout contrat de louage par lequel le propriétaire du bien incorporel (le « concédant ») confère le droit d’exploitation de tout ou une partie de son bien à un tiers (le « concessionnaire »), moyennant le versement d’une redevance. La concession peut prendre plusieurs formes :
Elle peut être exclusive ou non ;
Elle peut être conclue pour l’ensemble du ou des territoires pour lesquels l’invention bénéficie d’une protection juridique, ou pour une partie de ceux-ci seulement ;
Elle peut porter sur la totalité des droits ou sur certains éléments seulement (la concession pourrait ne concerner, par exemple, que certaines applications d’un brevet seulement).
Par ailleurs, la licence d’exploitation désigne tout contrat conférant au licencié le droit d’utiliser l’invention tant à des fins internes, pour ses besoins propres, que dans la perspective de produire et commercialiser des biens et services.
Toutefois, l’administration fiscale précise que lorsque le contrat porte à la fois sur des éléments entrant dans le champ d’application du 1 de l’article 39 terdecies du CGI et sur des éléments qui n’entrent pas dans le champ d’application de ce dispositif, le régime prévu au 1 de l’article 39 terdecies du CGI ne concerne que les éléments qui satisfont aux conditions posées par le texte. Ainsi, dans le cas de contrats globaux portant sur un ensemble d’éléments, brevetables ou non, et des prestations d’assistance technique, il faudrait distinguer entre deux situations :
Soit le contrat permet d’isoler le prix de chaque élément et de chaque prestation visés par le contrat. Dans ce cas, il y a lieu de retenir ce prix pour le calcul du produit de l’opération des seuls éléments de la propriété industrielle qui rentrent dans le champ d’application du régime, à savoir les actifs incorporels éligibles tels que mentionnés dans le paragraphe précédent.

Soit le contrat prévoit un prix global. Dans cette situation, dès lors que le régime des plus-values à long terme ne s’applique qu’à une partie des éléments visés par les termes du contrat, il est nécessaire d’opérer une ventilation du prix global. En conséquence, il appartient au contribuable de déterminer la partie du prix correspondant à la rémunération de ces actifs selon la méthode la plus adaptée et d’être en mesure de retracer cette méthode dans la documentation mise à la disposition de l’administration en cas de contrôle. À cet égard, la ventilation du prix global doit résulter d’éléments objectifs. Elle se fonde soit sur des comparaisons reposant sur des transactions réalisées à des dates proches et relatives à des éléments éligibles dont les caractéristiques sont similaires à celles sur lesquelles porte le contrat, soit sur une ou plusieurs clefs de répartition reposant sur des données comptables telles que : la valeur intrinsèque des droits transférés, la valeur retenue pour l’acquisition des droits, le coût de revient des différents éléments et prestations couverts par le contrat, etc. Dans ce cas, les critères de valorisation retenus pour chacun des éléments du contrat doivent être homogènes.

La mise en œuvre de l’IP Box

La mise en œuvre de l’IP Box exige d’abord d’identifier les produits tirés de l’opération qui sont susceptibles de rentrer dans le champ d’application dudit régime (A). Une fois dégagés, ces produits serviront de base pour déterminer le montant final des impôts dus par l’inventeur personne physique ou ses ayants droits (B).

L’identification des produits imposables

Il ressort du dernier alinéa de l’article 39 terdecies, 1, du CGI que le régime des plus-values à long terme ne s’applique pas en principe aux brevets, inventions brevetables ou procédés de fabrication industriels qui ne présentent pas le caractère d’éléments de l’actif immobilisé ou ont été acquis à titre onéreux depuis moins de deux ans.
Ce principe est, toutefois, tempéré par le fait que les droits de propriété industrielle détenus par des personnes physiques, soit en qualité d’inventeurs indépendants, soit après les avoir acquis à titre onéreux ou à titre gratuit, ne constituent pas un moyen d’exploitation. En effet, ces inventions sont considérées comme le produit même des activités de création de leur inventeur. A la différence de ceux détenus par les entreprises industrielles et commerciales, ils n’ont donc pas la nature d’éléments d’actif affectés à l’exercice d’une profession non commerciale.
En conséquence, il est admis que cette circonstance n’est pas de nature à priver les intéressés de l’application du régime des plus-values à long terme pour l’imposition des produits de la cession ou de la concession de licences d’exploitation de ces actifs incorporels.
Ainsi, le régime fiscal de faveur prévu par l’article 93 quater du CGI s’applique aux résultats nets tirés des cessions et des concessions de licences d’exploitation de brevets ou d’inventions brevetables perçues par les inventeurs personnes physiques, leurs héritiers ou les particuliers ayant acquis ces droits y compris lorsqu’il existe des liens de dépendance entre le concédant et le concessionnaire.
Par ailleurs, s’agissant des personnes physiques, l’administration fiscale précise qu’il n’y a pas lieu de s’attacher à la date d’entrée dans le patrimoine des droits de propriété industrielle dès lors que ceux-ci ont été découverts ou mis au point par l’inventeur ou lui ont été cédés à titre gratuit. En revanche, lorsque les droits de la propriété industrielle ont été acquis à titre onéreux, les produits retirés de la cession ou de la concession de licences d’exploitation de ces droits ne peuvent pas bénéficier du régime des plus-values à long terme qu’à partir de l’expiration d’un délai de deux ans à compter de leur date d’acquisition. Les produits perçus avant l’expiration de ce délai sont soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu.
Toutefois, la détermination des produits imposables diffère entre les opérations de cession et de concession :
En effet, est considérée comme un produit de cession, la valeur de la contrepartie reçue par le cédant, c’est-à-dire, la somme acquise au vendeur en cas de vente, à la valeur réelle des biens reçus en cas d’échange, et à la valeur réelle des titres reçus en rémunération en cas d’apport. Ces produits sont imposables l’année de leur encaissement. Cependant, les inventeurs personnes physiques imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux qui apportent un brevet, une invention brevetable ou un procédé de fabrication industriel à une société chargée de l’exploiter, peuvent demander le report de l’imposition de la plus-value réalisée à cette occasion.

En revanche, les produits d’une concession correspondent plutôt aux résultats de la gestion de la concession, c’est-à-dire les redevances contractuelles perçues au cours de l’année d’imposition.
Par ailleurs, en cas de contrats de cession ou de concession portant sur un ensemble d’éléments, dont seulement certains d’entre eux sont des actifs éligibles, seuls les résultats nets directement tirés de l’exploitation de ces actifs seront qualifiés de produits imposables.
Une fois que les produits soumis au régime de l’IP Box sont identifiés, un calcul doit être effectué afin de déterminer le montant de l’impôt dû par le contribuable.
La détermination de l’impôt dû par le contribuable
Seules les sommes nettes sont soumises à l’impôt. Une déduction doit donc s’opérer sur les produits dégagés de l’exploitation des actifs éligibles afin de déterminer le montant imposable. Toutefois, les charges déductibles diffèrent selon qu’il s’agit d’une opération de cession ou d’un contrat de concession :
S’agissant des opérations de cession, sont déduits, d’une part, les frais nécessités par la recherche et la mise au point du brevet ou les dépenses payées pour son acquisition, diminués, le cas échéant, lorsque l’élément était inscrit à l’actif professionnel, des amortissements pratiqués. D’autre part, les frais exposés, le cas échéant, pour la maintenance ou l’amélioration de l’invention. Toutefois, si les sommes ainsi déduites excèdent le prix de cession, la perte correspondante est imputable, le cas échéant, sur les autres revenus de la propriété industrielle perçus par le contribuable au cours de l’année d’imposition ou du revenu global. Ce déficit est déductible du revenu global de l’année de prise du brevet et des neuf années suivantes lorsque le contribuable ne perçoit pas de produits imposables ou perçoit des produits inférieurs à ces frais . Le délai commence à courir à compter de l’année suivant celle de la prise du brevet (ou du dépôt de la demande si le brevet est délivré à une date postérieure). Cependant, aucune déduction ne peut s’opérer dans le cas où les frais susmentionnés ont déjà été déduits du bénéfice non commercial imposable au fur et à mesure de leur paiement ou lorsque, exceptionnellement, le brevet a été immobilisé et est totalement amorti au moment de la cession. Dans ces cas, le produit imposable sera égal au prix de cession.

Concernant les concessions, sont déduites du produit de ces contrats, les dépenses de recherche ainsi que les frais relatifs à la gestion de la concession, c’est-à-dire ceux pris en compte pour la détermination du résultat net de l’opération, à savoir, les frais engagés pour la recherche des licenciés, la négociation et la conclusion des contrats, la gestion proprement dite des licences ainsi que les dépenses de recouvrement et de contentieux. Toutefois, sont exclus les frais de création d’un brevet, engagés en vue de sa délivrance dès lors qu’ils ont pour contrepartie la constitution d’un élément d’actif immobilisé. Par ailleurs, dans la situation où le concessionnaire est imposable dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, le 8° du 1 de l’article 93 du CGI reconnaît expressément le caractère de charges déductibles aux redevances tirés de la concession d’un actif éligible. Ce principe est toutefois tempéré lorsque des liens de dépendance existent entre le concédant et le concessionnaire. Dans ce cas, le montant des redevances n’est déductible que pour une fraction de leur montant égale au rapport existant entre le taux des plus-values à long terme auquel elles ont été imposées chez le concédant et le taux normal de l’impôt sur les sociétés.
Une fois les charges identifiées, il faut les soustraire des produits tirés de l’opération de cession ou de concession afin d’obtenir le résultat net.
Ainsi, si la valeur obtenue est positive, elle sera traitée en tant que plus-value à long terme. Celle-ci pourra, alors, en fonction de la situation du contribuable :
soit se compenser avec les moins-values à long terme de l’exercice ;
soit s’imputer au franc le franc sur le déficit de l’exercice, et les déficits reportables des exercices antérieurs ;
soit s’imputer sur les moins-values à long terme constatées au cours des dix exercices antérieurs, et qui n’ont pas encore été imputées.
Le reliquat restant après imputation sera, par conséquent, imposé fiscalement au taux réduit de 10% tel que prévu par le I de l’article 93 quater du CGI auquel s’ajoutent les prélèvements sociaux dont le taux est de 17,20%.
Toutefois, dans le cas contribuable n’a ni déficit ni moins-value reportable, le résultat net dégagé après déduction des charges, servira directement de base d’imposition.

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