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La pénalité de 10% pour déclaration tardive de RAS doit-elle être automatique?

CAA Lyon, 5ème ch. 21/12/2023; n°21LY02821; Sumitomo
Chemicals Europe

LES FAITS

A la suite d’une vérification de comptabilité de la société Sumitomo Chemicals Europe (SCAE), l’administration fiscale a considéré que les transactions intragroupes dans lesquelles celle-ci était impliquée ne respectaient pas le principe de pleine concurrence. Les avantages ainsi concédés ont été classiquement qualifié de « revenus réputés distribués », ce qui compte tenu des conventions fiscales applicables, donnent lieu à une retenue à la source. Dans la mesure où la société n’a évidemment pas déclaré cette retenue à la source, dont l’existence n’a été mise en lumière qu’à l’issue de la rectification, la pénalité de l’article 1728 du CGI.

LA RÈGLE

Pour rappel, dès lors qu’une rectification sur le terrain de l’article 57 du CGI est opérée par le service, celui-ci considère qu’un transfert indirect de bénéfice a eu lieu, qui doit alors suivre le traitement des distributions de dividendes. Une retenue à la source est alors prélevée, en plus de l’impôt sur les sociétés, et dont le taux est calculé par référence à la convention fiscale applicable au cas d’espèce. Il s’agit là d’une conséquence collatérale des rectifications en matière de prix de transfert, qui a à de nombreuses reprises été validée par le juge de l’impôt et que nous ne discuterons pas ici.
La pénalité visée à l’article 1728 du CGI sanctionne le défaut de production dans les délais prescrits d’une déclaration ou d’un acte comportant l’indication d’éléments à retenir pour l’assiette ou la liquidation de l’impôt. Cette pénalité, exprimée en pourcentage du montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l’acte déposé tardivement, est égale à 10% en l’absence de mise en demeure, ce qui est le cas à l’issue d’une rectification mettant en lumière un revenu réputé distribué.

LA POSITION DES JUGES

Le TAA de Lyon en 2021, avançait dans son considérant numéro 20 « En se bornant à faire état du caractère non volontaire de cette omission et de son droit à l’erreur, la société requérante ne conteste pas utilement le bien-fondé des pénalités ainsi mises à sa charge sur le fondement des dispositions précitées ». Or, dans de nombreux cas, il ne s’agit pas pour le contribuable de faire état de sa bonne foi ou de son droit à l’erreur, ni de requérir la modération de ces pénalités, que le juge de l’impôt s’est toujours refusé à pratiquer. Il s’agit au contraire de la pertinence d’une pénalité automatique, liée à une infraction dont le contribuable ne peut connaître l’existence ni le quantum avant les rectifications.
La CAA persiste toutefois, et considère que « les dispositions précitées proportionnent la majoration aux agissements commis par le contribuable en prévoyant que son montant est fixé en pourcentage des droits éludés. Il ressort en outre des dispositions de l’article 1728 que les taux de majoration appliqués varient selon que le défaut de déclaration dans le délai a été constaté sans mise en demeure de l’intéressé ou après une ou deux mises en demeure infructueuses, de sorte que la loi elle-même a ainsi assuré, dans une certaine mesure, la modulation des peines en fonction de la gravité des comportements réprimés. Il s’ensuit que le moyen tiré du caractère automatique de l’application d’une majoration de 10 % ne peut qu’être écarté ».

NOTRE ANALYSE

UNE PÉNALITÉ IMPOSSIBLE À PRÉVOIR DANS SON PRINCIPE…

Dans la mesure où la pénalité de l’article 1728 du CGI est appliquée de manière automatique, dans une situation où le contribuable est dans l’impossibilité de s’y conformer, elle excède selon nous l’objectif que cet article est censé poursuivre et crée donc une erreur dans l’appréciation de la base légale.
Il nous semble en effet que le bienfondé fiscal d’une pénalité automatique est à revoir, dès lors qu’elle vient sanctionner un comportement non seulement involontaire du contribuable, mais surtout inévitable, tant le contribuable ne peut avoir connaissance ni de l’existence, ni du montant de la retenue à la source à déclarer.
En effet, cette pénalité vient frapper la retenue à la source, qui elle-même est une conséquence collatérale d’une rectification principale en matière d’impôt sur les sociétés, et dont l’existence et le quantum ne sont connus qu’à l’issue de la
procédure de contrôle:
Sur l’aspect temporel d’une part : cette retenue à la source découlant du transfert indirect de bénéfice ne peut en toute logique être connue du contribuable qu’à l’issue du contrôle fiscal, soit après que l’administration a considéré qu’un transfert indirect de bénéfice a eu lieu. Il est donc matériellement impossible que le contribuable puisse produire la retenue à la source dans les temps qui lui sont impartis, puisque le fait générateur de cette retenue lui est alors inconnu. Au cas d’espèce, l’administration a mis en lumière l’existence de la retenue à la source à l’occasion de sa proposition de rectification du 4 août 2014, soit pour l’exercice 2010, 44 mois après le fait générateur réputé ; et 32 mois après le fait générateur pour l’exercice 2011. Or, pour se conformer à l’article 1728 du CGI, le contribuable aurait dû théoriquement déclarer le transfert de bénéfice avant le quinzième jour qui suit le mois de ce transfert, c’est-à-dire avant le 15 janvier 2011 pour l’exercice 2010 ; et avant le 15 janvier 2012 pour l’exercice 2011.

NI DANS SON QUANTUM!

Sur le quantum, d’autre part : la pénalité est exprimée en pourcentage de la retenue à la source, elle-même étant calculée par référence aux rectifications en matière de prix de transfert.
Plus exactement, cette retenue à la source vient frapper le rehaussement en base opéré sous le visa de l’article 57 du CGI, qui est alors qualifié de revenu réputé distribué. Or, la matière des prix de transfert forme une discipline subjective, dont les bornes ne sont pas clairement tracées. Qu’il s’agisse des transactions tombant dans le champ de cette matière, ou de l’étalonnage du transfert réputé de bénéfice, le contribuable ne peut rationnellement et à l’avance connaître avec exactitude le montant d’un transfert indirect de bénéfice et, partant, le montant de retenue à la source théorique qu’il aurait dû déclarer.

LES BENCHMARKS POUR TOUS?

Enfin, nous rappellerons que les pénalités fiscales, qui sont synonymes de sanctions, visent à réprimer le comportement du contribuable. C’est là l’essence même de la différence avec l’intérêt de retard, qui entend pour sa part compenser le préjudice financier. La jurisprudence du Conseil d’Etat est claire sur ce point, et souligne a contrario le lien intrinsèque entre les pénalités fiscales et le comportement du contribuable. Or dans notre cas, le comportement du contribuable ne peut en aucun cas être volontaire, pas plus qu’il peut être au cas d’espèce modifiable, ou anticipé. En cela, nous pensons que l’article 1728 du CGI ne peut trouver application en pareil cas, car son dispositif devrait être limité aux cas où le contribuable a connaissance des obligations qui pèsent sur lui.
Maintenir alors les sanctions de l’article 1728 reviendrait à retirer leur qualité de pénalités fiscales, pour en faire de véritables impôts. En effet, ces pénalités seraient alors dissociées du comportement, qui constitue l’élément intrinsèque pour tomber dans le champ des pénalités fiscales, mais viendraient en réalité appliquer automatiquement un taux (en l’espèce 10%) sur une assiette (le transfert réputé de bénéfice), à l’instar d’un impôt.

La limitation de la déductibilité des charges financières visée à l’article 39-1-3 résistera-t-elle longtemps au droit international ?

Ces dernières années, l’article 39-1-3 du code général des impôts a réussi à se hisser parmi les dispositifs fiscaux les plus connus. Comme une sorte de code, un mot de passe numérique réservé à une communauté à part. On ne parle plus du taux d’intérêt déductible. On dit « le taux du 39-1-3 ». Faites le test, cela vous permettra de repérer les fiscalistes dans l’assistance.

Pour rappel ce texte, aussi incongru et anti-économique soit-il, précise que « les intérêts servis aux associés à raison des sommes qu’ils laissent ou mettent à la disposition de la société, en sus de leur part du capital, quelle que soit la forme de la société, [sont déductibles] dans la limite de ceux calculés à un taux égal à la moyenne annuelle des taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit et les sociétés de financement pour des prêts à taux variable aux entreprises, d’une durée initiale supérieure à deux ans ».

Incongru, car il se pose comme une spécificité française dont Bercy a le secret, et s’ajoute à une liste déjà longue de dispositifs visant à contraindre les charges financières des entreprises.

Anti-économique, car il conduit les entreprises à devoir limiter la déductibilité fiscale d’intérêts qu’elles servent à des associés minoritaires (voire très minoritaires), alors qu’une exception est offerte aux associés détenant plus de la majorité du capital social de la débitrice grâce à l’alternative visée à l’article 212-I. Cela peut donc conduire dans les faits à contraindre les entreprises ayant souscrit un emprunt, ou qui ont émis des obligations au profit d’établissements bancaires tiers, et qui comme souvent, entrent au capital de ladite société pour suivre son évolution. Voyez le paradoxe : la BPI, qui contribue à l’essor de notre économie, détient très souvent des parts minoritaires dans le capital des sociétés qu’elle soutient ; les mêmes sociétés qui ne pourront donc pas déduire l’intégralité des intérêts financiers qu’elles lui reversent, dès lors que les taux d’intérêt pratiqués à leur égard, quand elles sont en situation de démarrage, ou pour des obligations qu’elles émettent, sont statistiquement bien au-delà du taux du fameux article 39-1-3.

Mais dès lors que ces actionnaires minoritaires sont situés dans un autre Etat que la France, ce dispositif de l’article 39-1-3 du CGI résiste-t-il au principe de pleine concurrence, visé à l’article 9 du modèle de convention fiscale de l’OCDE ? Ce principe de pleine concurrence peut en effet offrir un taux radicalement distinct, dès lors qu’il reflète des conditions de marchés et ce que des entreprises indépendantes, placées dans une situation similaire, auraient négocié entre elles.

Si l’on se pose un instant, la limitation prévue par cet article 39-1-3 entre en effet en contradiction avec l’article 9 du modèle, que l’on retrouve dans toutes les conventions signées par la France, et qui permet d’appliquer un taux alternatif. Les principes de subsidiarité et de primauté des traités devraient alors jouer leur rôle cher aux théoriciens du droit fiscal, et donc faire prévaloir la possibilité des parties liées de démontrer la justesse du taux qu’elles ont appliqué en réalité.

Dans bon nombre de conventions, l’article 9§1 vise le cas d’une « entreprise d’un Etat contractant [qui] participe directement ou indirectement à la direction, au contrôle ou au capital d’une entreprise de l’autre Etat contractant, ou que les mêmes personnes participent directement ou indirectement à la direction, au contrôle ou au capital d’une entreprise d’un Etat contractant et d’une entreprise de l’autre Etat contractant ». Or, participer directement ou indirectement à la direction ou au capital ne requière pas d’être associé majoritaire. Si l’on s’en tient là, le principe de pleine concurrence pourrait donc être appliqué à tout associé dès lors que par nature, celui-ci « participe au capital ». Mais comme tout bon fiscaliste est un paranoïaque en puissance, allons plus loin et posons-nous un instant sur la notion de « contrôle », qui semble plus ambigüe. Or, force est de constater que la définition de cette notion telle que produite par l’OCDE semble aussi grise que le béton du château de la Muette qui abrite ses services.

Les commentaires de l’OCDE indiquent en effet que « Deux entreprises sont associées si l’une d’entre elles remplit les conditions fixées à l’article 9 alinéas 1a) ou 1b) du Modèle de Convention fiscale de l’OCDE vis-à-vis de l’autre entreprise ».

Les commentaires éclairant l’article 9 du modèle de convention précisent quant à eux que « le comité a consacré beaucoup de temps et d’efforts (et continue de le faire) à l’étude des conditions d’application de cet article, aux conséquences de cette application, et aux méthodologies qui sont applicables pour l’ajustement des bénéfices lorsque des transactions ont été conclues dans des conditions autres que celles de pleine concurrence. Les conclusions de cette étude sont décrites dans le rapport intitulé ‘principes applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales’ qui est périodiquement mis à jour dans le but de tenir compte de l’évolution des travaux du comité sur cette question. Ce rapport représente des principes internationalement admis et donne des lignes directrices pour appliquer le principe de pleine concurrence dont l’article 9 constitue l’énoncé faisant autorité ».

Poursuivons donc le jeu de piste et référons-nous alors aux principes directeurs de l’OCDE qui…reproduisent la même définition que les commentaires sous la convention modèle.

Il apparait donc que la notion de contrôle, qui est clé pour l’applicabilité du principe de pleine concurrence, n’est pas explicitement ou formellement définie par les standards du droit international. La nature ayant horreur du vide, il convient alors de se reporter au droit interne de chaque Etat.

Dans notre cas, l’article 39-12 du CGI précise que « Des liens de dépendance sont réputés exister entre deux entreprises : (a) lorsque l’une détient directement ou par personne interposée la majorité du capital social de l’autre ou y exerce en fait le pouvoir de décision ; (b) lorsqu’elles sont placées l’une et l’autre, dans les conditions définies au a, sous le contrôle d’une même tierce entreprise ». Du point de vue de notre droit positif français donc, le contrôle semble bien devoir être apprécié sous l’angle de la majorité (du capital ou du pouvoir de décision).
Le jeu de piste aurait-il alors conduit à une impasse, laissant le contribuable face à la froide injustice de l’article 39-1-3 ? Et bien, peut-être pas pour longtemps. La Commission européenne a dévoilé, le 12 septembre 2023, deux projets de Directives, relatives, respectivement, à l’initiative « BEFIT » et à une harmonisation des règles prix de transfert au sein de l’UE. Ce second projet de directive entend simplifier la réglementation applicable et de réduire le risque de double imposition, en intégrant le principe de pleine concurrence dans le droit de l’Union. Un des biais par lequel la sécurité fiscale serait renforcée passe par l’harmonisation des principales règles en matière de prix de transfert, en créant la possibilité pour la Commission d’établir, au sein de l’Union, des règles communes sur des sujets spécifiques.

Or, pour définir une entreprise associée, l’article 5 du projet de Directive propose notamment de retenir un seuil de détention de minimum 25% dans les droits de vote, le capital ou le bénéfice d’une entité pour établir un lien de dépendance. La transposition en l’état de la Directive conduirait donc mécaniquement et nécessairement à permettre aux associés minoritaires de se prévaloir du principe de pleine concurrence, et donc de faire échec aux dispositions de l’article 39-1-3 du CGI qui, en figeant un taux d’intérêt, vient en contradiction avec l’alternative offerte par le droit international et plus spécifiquement l’article 9 du modèle de convention fiscale. La contrainte du dispositif de l’article 39-1-3 du CGI dont souffre actuellement les associés minoritaires seraient donc levée pour certains associés seulement, qui d’une part disposeraient de 25% au moins du capital social, soit directement, soit indirectement, ou qui seraient placés sous une entité commune dépassant ce seuil ; et d’autre part, qui seraient résidents d’un autre Etat que la France.

Notre droit positif créerait cependant une double discrimination, en maintenant sous le joug de l’article 39-1-3 les associés ultra-minoritaires, détenant moins de 25% du capital de la société débitrice, et les associés établis en France. Pour ces derniers, la discrimination à rebours nous a déjà habitué à moins bien traiter les opérations purement domestiques.

Pour les associés étrangers, mais détenant moins de 25%, le fisc vous le dira : on a toujours besoin d’un plus petit que soi.