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Prestations intragroupes : deux rappels jurisprudentiels sur les limites de la déductibilité fiscale

Les arrêts rendus respectivement par les cours administratives d’appel de Paris et de Nancy (affaires Foncière Vélizy Rose et Eco NRJ) illustrent la vigilance constante du juge fiscal quant à la réalité et à l’utilité des prestations intragroupes. Dans les deux cas, les sociétés requérantes ont vu leur demande de déduction rejetée, l’administration ayant caractérisé un appauvrissement injustifié, voire une intention délibérée d’éluder l’impôt.

Le cadre juridique : une exigence probatoire renforcée pour le contribuable

Les deux arrêts rappellent les grands principes posés par les articles 38 et 39 du CGI, selon lesquels le bénéfice imposable est établi sous déduction de charges justifiées par leur réalité, leur montant et leur intérêt pour l’entreprise. Il appartient au contribuable de fournir des éléments précis sur la nature, l’objet et la contrepartie des dépenses. Lorsque l’administration remet en cause une charge, elle doit étayer ses doutes devant le juge ; mais en matière de prestations de services, le fardeau probatoire initial incombe au contribuable.
Dans les deux affaires, le juge considère que cette démonstration fait défaut : les sociétés se sont limitées à produire des factures laconiques, des documents non signés ou non attribuables au prestataire, et aucun élément permettant de quantifier ou qualifier les prestations effectivement rendues.

Des prestations redondantes ou imprécises, sans lien avéré avec les besoins de l’entreprise

Dans l’affaire Foncière Vélizy Rose, la société avait conclu un contrat d’asset management avec Obélisque Immobilier, société dépourvue de moyens propres et dirigée par le même gérant. Ce contrat, censé couvrir le suivi d’un immeuble unique intégralement loué à Thalès, doublait des prestations déjà confiées à un property manager (AAM), et ce sans que la valeur ajoutée d’Obélisque soit démontrée.
Même logique dans l’affaire Eco NRJ, où la société française versait chaque mois 6 500 € à sa sœur luxembourgeoise, Eco NRJ Lux, au titre de prestations commerciales et de gestion. Le caractère générique des factures, la faiblesse des justificatifs produits et l’absence de démonstration d’une contrepartie effective ont conduit le juge à écarter la déduction des charges.
Dans les deux cas, l’administration a pu établir une absence manifeste de substance économique derrière la relation contractuelle, et un doute légitime sur la finalité réelle des flux financiers intragroupes.

Des situations de contrôle commun et de confusion d’intérêts

Les deux décisions insistent également sur le contexte capitalistique et personnel dans lequel ces conventions ont été conclues.

    • – Foncière Vélizy Rose : le gérant de la société était également celui d’Obélisque Immobilier, société créée par son frère. AAM, autre prestataire impliqué, était cogérée par sa sœur.
    • – Eco NRJ : les deux sociétés étaient dirigées par la même personne. Le versement des honoraires n’était pas justifié par une décision des organes sociaux compétents, laissant planer le doute sur une rémunération indirecte du dirigeant.

Dans les deux cas, les liens familiaux ou de gestion sont venus renforcer l’analyse de l’administration sur l’existence d’un acte anormal de gestion : un choix appauvrissant l’entreprise, sans justification économique, et motivé par des considérations étrangères à son intérêt propre.

La confirmation des pénalités pour manquement délibéré

Enfin, les deux juridictions confirment l’application de la majoration de 40 % pour manquement délibéré (art. 1729 CGI). Cette pénalité suppose une volonté manifeste d’éluder l’impôt, ce que l’administration a démontré dans chaque cas par :

    • – le montant significatif des charges concernées ;
    • – l’absence de justification concrète malgré les relances ;
    • – la communauté d’intérêts manifeste entre les entités concernées ;
    • – la carence dans la gouvernance formelle, en particulier l’absence de décision des organes sociaux validant ces flux financiers.

Le juge écarte les arguments relatifs à la validité formelle des contrats ou à l’imposition parallèle des revenus dans d’autres entités : ce qui compte, c’est l’absence d’utilité démontrée pour la société débitrice.

Enseignements pratiques : précautions à adopter pour sécuriser les prestations intragroupes

Ces décisions illustrent les précautions que les entreprises doivent impérativement respecter pour éviter les requalifications et les redressements :

    • – Formaliser avec précision les conventions intragroupes (objet, nature, périodicité, livrables) ;
    • – Conserver une traçabilité documentée des prestations rendues (courriers, rapports, livrables identifiables) ;
    • – Éviter les redondances avec d’autres prestataires ou avec les fonctions du dirigeant ;
    • – Isoler les décisions de gouvernance (PV de conseil ou d’assemblée) justifiant le recours aux prestations et leurs modalités ;
    • – Maintenir une autonomie réelle des prestataires, avec des moyens humains et matériels identifiables.

Au-delà du simple risque de redressement fiscal, ces décisions rappellent que les prestations intragroupes doivent répondre à une logique économique claire, vérifiable et défendable devant l’administration.

Notre avis et nos recommandations

Ces deux affaires illustrent une ligne jurisprudentielle constante : la simple existence d’un contrat ou d’une facture ne suffit pas à justifier la déductibilité d’une charge intragroupe. Le contribuable doit démontrer la réalité, l’utilité et la valeur des prestations reçues, en particulier lorsque des liens capitalistiques ou personnels existent entre les entités.
Pour éviter ces requalifications, nous recommandons :

    • – Contrats précis et datés, mentionnant les prestations concrètes attendues et leur fréquence.
    • – Preuves tangibles de l’exécution : rapports signés, courriels, documents horodatés et identifiables.
    • – Absence de redondance avec d’autres fonctions ou prestataires.
    • – Validation par les organes sociaux en cas de lien avec le dirigeant (ex. : rémunération indirecte).
    • – Justification économique claire de l’intérêt pour la société bénéficiaire.
    • – Revue annuelle des conventions intragroupes et documentation intégrée au dossier fiscal ou de prix de transfert.

En matière de services intragroupes, la transparence documentaire et l’anticipation des arguments fiscaux sont clés. Ce travail en amont limite les risques de redressement et de pénalités pour manquement délibéré.

CAA Paris, 7ème chambre, 29 avril 2025, 23PA02275, Société Foncière Vélizy Rose
CAA Nancy, 24 avril 2025, 22NC02867, Société Eco NRJ