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Déductibilité des intérêts intragroupes : La preuve s’assouplit et se précise !

LES FAITS

A la suite d’une vérification de comptabilité de la société GEII Rivoli Holding au titre des exercices clos en 2013 et 2014, l’administration fiscale a remis en cause la déductibilité de la différence entre le taux pratiqué de 5,08% et celui de 2,79 % correspondant à la valeur mentionnée au 3° du 1 de l’article 39 du CGI.
Lors des phases contentieuses, la société a produit une première analyse identifiant à partir de l’outil RiskCalc développé par l’agence Moody’s, la note de risque qui aurait pu lui être attribuée, ainsi qu’ intervalle de taux établi par référence à ceux obtenus par quinze sociétés non financières, appartenant à des secteurs d’activité hétérogènes.
Une seconde analyse corroborative a été produite devant la CAA de Paris et fondée sur le calcul de deux ratios financiers, dont l’un, dit  » loan to value  » (LTV), adossée à des données relatives au marché obligataire issues de la base de données financières Standard et Poor’s Capital IQ.

LA RÈGLE

Un courant jurisprudentiel construit autour des années 2020 a redessiné les contours de la preuve en matière de déductibilité des taux pratiqués à l’égard d’associés majoritaires.
Spécifiquement, l’entreprise emprunteuse peut notamment s’appuyer sur les taux d’emprunts bancaires accordés, dans des conditions de pleine concurrence, à des sociétés relevant comme elle du secteur non financier, ayant obtenu des notes de crédit voisines de celle qui peut être déterminée pour elle, alors même que ces autres sociétés appartiendraient à des secteurs d’activité hétérogènes.
L’entreprise emprunteuse peut également tenir compte du rendement d’emprunts obligataires émanant d’entreprises se trouvant dans des conditions économiques comparables, lorsque ces emprunts constituent, dans l’hypothèse considérée, une alternative réaliste à un prêt intragroupe.

LES JUGES DU FOND

Le TAA de Paris en 2021, puis la CAA de Paris en 2022 ont rejeté les prétentions de la société et confirmé les rectifications opérées.
En premier lieu, les juges relèvent que pour justifier que le taux de 5,08 % servi à sa société mère, la société GEII Rivoli Holding a produit un rapport identifiant à partir de l’outil RiskCalc développé par l’agence Moody’s, la note de risque qui aurait pu lui être attribuée, soit Baa1. Or, cette note de risque avait été obtenue sans renseigner le secteur d’activité de la société requérante dans l’outil RiskCalc. Ainsi, la CAA a pu, sans entacher son arrêt d’erreur de droit, écarter pour ce motif cette méthode comme non probante dès lors qu’une telle circonstance conduisait à ne pas tenir compte de la situation économique particulière de la société.
En second lieu, pour écarter la méthode corroborative proposée par la société, la CAA a considéré que celle-ci ne justifiait pas qu’un emprunt obligataire aurait constitué, pour elle, une alternative réaliste à un prêt intragroupe.
Enfin, la CAA estime qu’il ne lui avait été fourni aucun comparable précisément identifié dont elle aurait été en mesure d’apprécier la pertinence.

LA SOLUTION DU CONSEIL D’ÉTAT

Le CE a accueilli positivement le premier argument des juges du fond, considérant à juste titre que le secteur d’activité de l’entreprise constitue un paramètre important devant être pris en compte lors du calcul de la note de crédit sur l’outil RiskCalc.
Cependant, il écarte le reste des arguments, validant ainsi la démonstration économique et statistique de la société. Plus précisément, le CE souligne :
– « La taille d’une société n’est pas à elle seule de nature à faire obstacle à l’accès à ce marché et que le caractère réaliste, pour une société ayant recours à un prêt intragroupe, de l’hypothèse alternative d’un emprunt obligataire ne s’apprécie qu’au regard des caractéristiques propres de cette société et de l’opération, les taux constatés sur ce marché devant le cas échéant être ajustés ».
– « Le taux de pleine concurrence avancé par la société comme correspondant à son niveau de risque reposait sur l’exploitation de courbes de taux établies sur la base de l’ensemble des transactions recensées, pour des emprunts de même durée contractés par des sociétés de même profil de risque, et qu’il n’était pas argué que le recensement des transactions figurant dans cette base n’était pas fiable ».

NOTRE ANALYSE

L’OUTIL RISKCALC EST UTILE, MAIS PAS TOUT PUISSANT

Développé par l’agence Moody’s, l’outil RiskCalc a acquis sa légitimité auprès du juge de l’impôt depuis l’arrêt Studialis de la CAA de Paris en 2020 (n°18PA01026).
Cet outil permet en effet de déterminer la note de risque d’un emprunteur, qui constitue la première étape essentielle dans la démonstration d’un niveau de pleine concurrence d’un taux pratiqué à l’égard d’associé majoritaires. Cependant, cet outil requiert une analyse fine des paramètres intrinsèques de cet emprunteur, tant quantitatifs que qualitatifs, au titre desquels figure notamment le secteur d’activité.
Ce dernier indicateur influence en effet grandement les perspectives de croissance, de rentabilité, et donc de risque, passées et futures, des acteurs composant un marché donné. A défaut d’avoir renseigné ce critère essentiel, l’analyse produite initialement ne pouvait être pertinente ou complète, car elle méconnait alors nécessairement la situation économique de la société.
Il est toutefois intéressant de noter que ni la contemporanéité de l’analyse, ni la pertinence des outils cités n’ont été discuté, validant ainsi et sans doute définitivement le courant prétorien amorcé par les arrêts Studialis précité, BSA de la CAA de Versailles (n°20VE03249), et Willink du Conseil d’Etat (n° 446669).
Surtout, on retiendra de l’arrêt que la démonstration ayant finalement emporté l’adhésion du Conseil d’Etat repose sur un ratio financier alternatif dit  » loan to value  » (LTV), qui rapporte le niveau d’endettement à la valeur des actifs immobiliers de la société. Cet indicateur conduisait en l’espèce à estimer, par comparaison avec les ratios de sociétés foncières françaises et européennes cotées, que la notation financière qu’elle aurait pu obtenir n’aurait pas dépassé BBB, soit une sphère proche de celle proposée initialement par RiskCalc.
Au cas d’espèce, le ratio LTV avait été calculé en tenant compte d’une dette financière correspondant exclusivement à l’emprunt dont il convenait d’apprécier le taux. On aurait pu alors penser que le calcul était vicié, car circulaire. Mais en se concentrant sur l’emprunt principal (dont l’objet et le montant n’étaient pas contestés), sans prendre en compte les intérêts (dont le taux était au centre des débats), le ratio était en effet pertinent et valable.

LA CONSÉCRATION DU MARCHÉ OBLIGATAIRE

Dans son Avis Wheelabrator de Juillet 2019, le Conseil d’etat avait ouvert la voie à une approche pragmatique, alignée avec la pratique OCDE, de la démonstration par le contribuable du caractère de « pleine concurrence » d’un taux d’intérêt pratiqué dans le cadre d’un financement intragroupe, permettant notamment l’utilisation de référentiels obligataires.
Cependant cet avis, de même que les décisions qui ont suivi, semblaient contenir une réserve, en conditionnant la référence au marché obligataire à la démonstration que « ces emprunts constituent, dans l’hypothèse considérée, une alternative réaliste à un prêt intragroupe ». En d’autres mots, le contribuable semblait devoir pouvoir apporter la preuve que l’émission d’obligations constituait pour lui une option réaliste et alternative au recours à un emprunt classique auprès d’une banque ou d’un établissement de crédit.
Dans son considérant n°10, le CE semble néanmoins renforcer la charge de la preuve dans le chef de l’administration. Le juge considère en effet que « le caractère réaliste, pour une société ayant recours à un prêt intragroupe, de l’hypothèse alternative d’un emprunt obligataire ne s’apprécie qu’au regard des caractéristiques propres de cette société et de l’opération, les taux constatés sur ce marché devant le cas échéant être ajustés pour tenir compte des spécificités de la société en cause ». Pour écarter la référence au marché obligataire, il semble alors que l’administration doive démontrer que compte tenu de ses paramètres propres et intrinsèques, cette option serait dépourvue d’objet, ou non adéquate.
Il nous semble que cette preuve relève de l’impossible.

LES BENCHMARKS POUR TOUS?

Si l’analyse économique en deux temps semble désormais bien reconnue par le juge de l’impôt, tant dans sa composante de calcul de risque de crédit que de recherche de comparables sur des marchés obligataires, on rappellera que cette démarche ne vaut que si le prêteur est associé majoritaire au sens de l’article 212-I. Les associés minoritaires ne peuvent se prévaloir de cette analyse pour justifier d’un taux différent de celui visé à l’article 39-1-3 du CGI (voir notamment CAA Versailles, Sté Financière Lilas, n°19VE00546). Ce courant renforce donc un peu plus la différence de traitement entre contribuables.

France v/s. SAS Itron France January 2024

Facts, Procedures, and the Decision

STATEMENT OF FACTS

SAS Itron France (“Taxpayer”) (a manufacturer and distributor of water, electricity and gas meters) was the subject of a tax audit for the financial years 2012 and 2013, which resulted in an assessment. The tax authorities (“TA”) considered that the transfer pricing applied by the group had resulted in an understatement of taxable income in France and a transfer of profits to a Hong Kong-based distributor of the group. An appeal was filed by SAS Itron France and in a ruling handed down on 2 December 2021, the Administrative Court annulled the assessment. The TA filed an appeal against this ruling. The Administrative Court of Appeal dismissed the appeal and decided in favor of SAS Itron France. The TA concluded that the Taxpayer had granted an unfair advantage to its related party distributor within the meaning of Article 57 of the French Tax procedure Code.

ARGUMENTS OF THE TAX ADMINISTRATION

The Taxpayer is a manufacturer as well as a distributor of water, electricity, and gas, therefore it is in a situation of mutual dependence with its Group entities. The TA tested the Taxpayer’s relations as a producer with group distributors and followed a “profit-sharing” method. It further functionally analyzed the Taxpayer and then attributed the following distribution margin between the manufacturer and the distributors :
(i) 53% and 47% for “gas” product line respectively;
and
(ii) 51% and 49% for water and electricity respectively.
The TA stated that the Taxpayer’s profit as a manufacturer was insufficient in relation to the overall margins determined by the TA (i.e., 53% and 51%)

THE DECISION

The Court rejected the adjustment sought by the TA in terms of the group’s transfer pricing policy as such adjustment can only be warranted in the event of a significant differences between the transfer price resulting from this method and the economic reality, such adjustments are provided for only in exceptional circumstances and under a procedure that derogates from the “cost-plus” method. The Court observed that the TA failed to demonstrate whether any special circumstances arose during the period of assessment (FY2012 and FY2013) which could justify the adjustment. The Court ultimately stated that the TA had failed to interpret tax law as they could not establish any consistency to their allegations. The case was therefore dismissed in the final appeal.

CARA ANALYSIS

BREAK DOWN OF THE DECISION

On one hand, the Court gave consideration to the Taxpayer’s claim that in order to reconstitute the transfer prices between SAS Itron France as a manufacturer and its related party distributors, the TA used the margin of the distributing entities after deducting the sale price of SAS Itron France’s products, without taking into account the distributor’s own operating expenses (such as cost of discounting ; commissions paid to agents; rebates and discounts; product shipping costs; insurance costs incurred in transporting products; customs duties; product packaging costs), even though these expenses contribute to the distributors’ share of the Group’s net margin to which they should be entitled.
On the other hand, the TA deducted their direct expenses from the margin of the manufacturing entities, including SAS Itron France, to which the gross margin rates mentioned in the previous point apply under the cost-plus method.
Without calling into question the parameters used by SAS Itron France to determine its transfer prices as a producer (costs used and margin rates mentioned) determined within an arm’s length interval), the TA had carried out a comparison of heterogeneous margins, gross for the distributing entities and net for the producing entities. Moreover, for an adjustment to be applied, three conditions must be met:

  • existence of new markets or invitations to tender;
  • existence of a turnover exceeding 10% of the distributor’s revenue;
  • existence of a variation in the distributor’s turnover of at least 500,000
    euros.

The Court observed that the TA failed to demonstrate the existence of the above elements.

THE CONCLUSION

At CARA we always stress on the importance of really understanding the functions and risks undertaken by the parties to a given controlled transaction, as it is extremely crucial not only in determining the range but also in applying the correct methods and profit level indicators (PLIs) to derive the range. This decision of the Court is a case in point for the same.
Different methods and PLIs test different functions of the tested party, especially when the tested party has dual profiles. Therefore, one must be sure to test the correct profile (for e.g., distributor or manufacturer) and the risks associated with that profile, as demonstrated by this case law.
Moreover, experience has shown us that the application of most methods will be imperfect, even, for example, by applying the CUP method which bases itself on very precise internal and/or external comparables. The reason for the same is that
(i) comparable data available for testing such method may certainly not take into account the various risks undertaken by the parties; or
(ii) it may not reflect the economic reality at a given period of time.

However, we may conclude that clear and cogent functional and risk characterization is key in determining a relevant interquartile range, and is therefore, THE antidote to tax assessments.