SITUATION DE DÉPART
La société WB Ambassador a souscrit auprès de sa société mère et d’une autre société du groupe, deux emprunts rémunérés à un taux annuel de 7%.
Les services fiscaux ont considéré ce taux excessif au regard des articles combinés 212-I et 39-1-3 du CGI et, par conséquent, ont proposé une rectification en réintégrant une fraction des intérêts supportés.
07 JUILLET 2017 : DÉCISION DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF
Le TA de Paris, dans un arrêt du 07 juillet 2017, n°16007683 rejette la demande de la société WB Ambassador de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et le rétablissement du report en avant du déficit constaté le 1er janvier 2020.
Les juges font une appréciation stricte des dispositions de l’article 212-1 et des moyens de preuves que les contribuables peuvent apporter. Les trois études fournies par la société ont été rejetées faute de précisions et de détails. Ils confirment cependant que l’analyse justificative du contribuable n’a pas à être contemporaine de l’offre de prêt.
31 DÉCEMBRE 2018 : DÉCISION DE LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL
Le 31 décembre 2018, dans un arrêt n°17PA0318, la CAA de Paris confirme la décision du tribunal administratif et rejette l’appel formé par la société.
Selon les juges, la comparaison utilisée par la société n’est pas pertinente car elle se fonde « sur des comparables de taux issus de marchés financiers obligataires » et abonde dans le sens de la position de l’administration fiscale, en considérant que seule une offre de banque ou des références au marché de dettes sont acceptables au sens de l’article 212-I du CGI.
10 DÉCEMBRE 2020 : DÉCISION DU CONSEIL D’ÉTAT
Dans un arrêt du 10 décembre 2020, n°428522, le Conseil d’Etat, saisi d’un pouvoir formé par la société a annulé l’arrêt de la Cour Administrative d’Appel.
Selon le Conseil d’Etat, la cour a commis une erreur de droit en excluant la possibilité pour la société de justifier les taux en utilisant le rendement d’émissions obligataires consenti par des entreprises se trouvant dans des conditions comparables.
Le Conseil d’État poursuit, et son avis de 2019 « Wheelabrator », et le courant amorcé par la décision « Studialis », et valide le recours aux emprunts obligataires comme comparables.
29 JUIN 2022 : DÉCISION DE LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL
Le 29 juin dernière, la 2e chambre de la Cour d’Appel de Paris, sur renvoi du Conseil d’État, a annulé le jugement du Tribunal Administratif de Paris et a rétabli les déficits constatés par la société AB Ambassador.
NOTRE ANALYSE : Problème posé par l’arrêt
LA CONSÉCRATION DE LIBERTÉ DE PREUVE DU CONTRIBUABLE
La Cour d’Appel vient consacrer l’arrêt du 10 décembre 2020 du Conseil d’Etat, qui avait adopté une position favorable aux contribuables. En effet, cet arrêt confirme l’avis rendu un an plus tôt (CE 10 juillet 2019, n°429426, SAS Wheelabrator), en réaffirmant le principe de liberté de la preuve en matière de détermination du taux d’intérêt de prêts conclus entre sociétés d’un même groupe.
Désormais, l’administration fiscale et les juges doivent réellement débattre quant aux preuves apportées par le contribuable pour justifier du caractère normal et de pleine concurrence d’un taux d’intérêt intragroupe.
C’est dans le cadre de ce débat que la Cour Administrative d’Appel apprécie les preuves apportées par la société AB Ambassador et confirme que les taux d’intérêts pratiqués dans le cadre d’emprunts obligataires peut constituer une preuve du caractère de pleine concurrence du taux d’un prêt intragroupe, dès lors qu’il est avéré que ces ces emprunts constituent une alternative réaliste à un prêt intragroupe (donc à une référence au marché de la dette).
En l’espèce, les preuves apportées par la société étaient suffisamment élaborées pour justifier les taux pratiqués dans le cadre des prêts intragroupes pratiqués.
L’ÉPISODE FINAL DE LA SAGA WB AMBASSADOR, MAIS QUID DE LA SUITE?
L’arrêt du 29 juin 2022 vient clore cette saga WB Ambassador à l’origine, à la fois de nombreuses problématiques et interrogations, qui ont nourrit un fort mouvement jurisprudentiel sur les prêts intragroupes, mais aussi du débat sur la thématique de l’articulation des prix de transfert et de l’article 212-1 du Code Général des Impôts.
La Cour Administrative d’Appel vient préciser la nature et la mécanique de la preuve de la normalité du taux d’intérêt appliqué en cas de prêt intragroupe. Cette dernière participe de ce fait, de l’analyse inspirée par les fiches de Bercy sur les transactions financières intragroupes et par le courant jurisprudentiel formé des décisions Studialis, Wheelabrator, Appex Tool, ou encore BSA..
Néanmoins, si cette décision permet de clarifier les situations de prêts intragroupe, de nombreuses incertitudes demeurent quant à la démonstration du taux de pleine concurrence attaché à d’autres véhicules financiers, notamment le Cash Pool. La décision laisse également les actionnaires minoritaires toujours sujets au cloisonnement de l’article 212-I et l’application stricte du taux de l’article 39-1-3, comme le rappelait encore récemment la décision Trocadéro.
Enfin, bien que le contribuable peut désormais faire référence au marché obligataire, encore lui faut-il pouvoir démontrer qu’une telle référence constituait une alternative réaliste compte tenu de sa situation. Si la preuve qui repose sur lui a été (un peu) allégée, la justification d’un taux d’emprunt différent de celui visé à l’article 39-1-3 du CGI demeure encore une gageure pour les contribuables. , Les juges n’ont donc pas encore fini de nous livrer toutes les clefs des prix de transfert appliqués aux flux financiers.