Cara Avocats

L’importance de la chaîne de valeur dans l’analyse prix de transfert

Le Conseil d’Etat a donné raison à la société Amycel dans un litige l’opposant à l’administration fiscale française. Cette affaire, qui portait sur des questions de prix de transfert et du décalage de prix de vente observés par le fisc pour des mêmes produits vis-à-vis de sociétés sœurs et de sociétés non liées, rappelle l’impérieuse nécessité de procéder à une analyse comparative fine des transactions et des conditions économiques entourant celles-ci.

Le contexte de l’affaire

L’affaire concerne la société Amycel France, filiale du groupe américain Monterey spécialisée dans la production et la commercialisation de mycélium. L’administration fiscale avait réintégré dans les résultats de la société, pour les exercices 1998 à 2001, des sommes considérées comme des bénéfices indirectement transférés à des sociétés étrangères du même groupe, en application de l’article 57 du CGI . A cette fin, le fisc relevait que pour des mêmes produits, la société pratiquait des tarifs plus bas vis-à-vis de ses sociétés sœurs établies aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, qu’à l’égard de ses clients tiers en France et ailleurs.

Le parcours judiciaire

Après une succession d’échecs devant le TA d’Orléans et la CAA de Nantes, Amycel a saisi le Conseil d’Etat. Celui-ci a non seulement annulé l’arrêt de la CAA pour insuffisance de motivation, mais a également statué en faveur de la société sur le fond de l’affaire.

Les arguments décisifs

Le Conseil d’Etat a souligné que l’administration fiscale avait correctement établi que les prix pratiqués par Amycel France envers ses sociétés sœurs étaient inférieurs à ceux facturés à ses autres clients. Cependant, le juge de l’impôt accueille l’argument de la société laquelle critiquait le fait que ni l’administration, ni la CAA n’aient examiné si les clients indépendants auxquels Amycel vendait ses produits à un prix supérieur étaient placés dans une situation économique similaire à celle de ses sociétés sœurs. Cette différence de situation était en effet de nature à influencer le prix pratiqué en raison non seulement de la combinaison des fonctions et des risques portés par les sociétés sœurs et les clients tiers, mais aussi leur place dans une chaîne de valeur globale.

Les implications de la décision

Cette décision est précieuse, car elle rappelle qu’en présence d’une transaction rémunérée (c’est-à-dire, non réalisée à titre gratuit), la démonstration d’une anomalie par l’administration fiscale doit nécessairement passer par la mise en lumière d’un avantage par comparaison.
Or, outre la revue des fonctions, risques et actifs des parties à la transaction (l’analyse fonctionnelle), cette analyse comparative doit impérativement passer par l’étude des circonstances économiques de la transaction, ainsi que la stratégie économique des parties. En l’espèce les tiers auxquels Amycel vendait ses produits étaient des consommateurs finaux, alors que ses sociétés sœurs étaient des grossistes, donc positionnées à une autre étape de la chaîne de valeur. Ce positionnement expliquait très certainement le différentiel de prix, pour leur permettre de dégager leur propre marge lors de la revente aux consommateurs sur leurs marchés.

Pour les groupes internationaux, cette décision rappelle en outre l’importance de documenter soigneusement leurs politiques de prix de transfert et de délais de paiement, en prenant en compte les spécificités de leur secteur d’activité.

R&D en France : Le Tournant Fiscal de Rigueur

Sous couvert d’assainissement budgétaire, la Commission des finances du Sénat propose une réduction drastique des dispositifs fiscaux favorables à l’innovation, fragilisant potentiellement encore un peu plus la compétitivité française.

🚨 Les Coups de Rabot Fiscaux

Pour l’heure, la proposition maintient le Crédit Impôt Recherche (CIR) malgré les critiques et attaques dont il fait l’objet tous les ans à l’approche des lois de finance. Ce dispositif est cependant rogné chaque année un peu davantage.

    • – Coup Dur pour la Recherche : Suppression du dispositif « jeunes docteurs », risquant ainsi de décourager le recrutement des talents scientifiques
    • – Restriction Budgétaire : Exclusion de certaines dépenses comme la veille technologique et les frais de brevets, conduisant mécaniquement à réduire l’assiette éligible au CIR.
    • – Marginalisation de l’Innovation : Réduction des frais de fonctionnement forfaitaires (de 43% à 40%).

 

💢 Un Coup Porté à l’Écosystème Innovant

Sitôt né, sitôt découragé ! Le régime de faveur visé à l’article 238 du CGI, communément (et faussement) appelé l’IP Box n’a même pas eu le temps de passer les fourches caudines de la jurisprudence, faute d’antériorité, que déjà il est réformé. La commission propose ainsi d’augmenter le taux d’imposition sur les actifs visés (principalement les brevets et les logiciels), passant de 10% à 15%, retrouvant ainsi son taux historique lorsque l’IS était encore à 33,33%.
Rappelons que la réduction du taux d’imposition pour ces actifs entendait non seulement s’aligner sur les pratiques des autres Etats, mais aussi marquer un décalage attractif par rapport au taux d’IS de droit commun. Le relèvement de ce taux de faveur ne serait-il pas une prémisse à la remontée de l’IS ?

🔍 Analyse Critique

Après le Gouvernement, c’est au tour du Sénat d’aborder le virage fiscal au détriment de l’innovation, des investissements étrangers, et de la stabilité des affaires. Derrière un habillage technique se cache une logique purement budgétaire qui risque de fragiliser l’attractivité de la France en matière d’innovation.

L’été au Brésil est-il propice à la réflexion fiscale ?

Réuni dans le cadre de sa troisième réunion tenue les 25 et 26 juillet derniers à Rio, le G20 a réaffirmé son engagement fort pour une réforme fiscale mondiale équitable.

Le G20 continue de jouer un rôle crucial dans la refonte du système fiscal international pour répondre aux défis posés par la mondialisation et la digitalisation de l’économie. En soutenant l’initiative BEPS de l’OCDE, le G20 se concentre sur deux piliers essentiels :

  • – Réallocation des droits d’imposition : Les entreprises numériques seront désormais imposées là où se trouvent leurs consommateurs, même sans présence physique dans ces pays. Une avancée majeure pour une fiscalité plus juste !
  • – Taux d’imposition minimum mondial : Un taux minimum est instauré pour empêcher les entreprises de profiter des paradis fiscaux. Une mesure clé pour mettre fin à la course au moins-disant fiscal.
  •  
  • Ces réformes visent à garantir que toutes les entreprises paient leur juste part d’impôts, où qu’elles soient actives, tout en renforçant la coopération internationale pour lutter contre l’évasion fiscale. En cela, le G20 montre la voie vers une fiscalité mondiale plus équitable et transparente.

Le CARA’porteur public : quels effets des délais de réglement dans l’analyse prix de transfert ?

La cour administrative d’appel a donné raison au groupe Clarins dans un litige l’opposant à l’administration fiscale française. Cette affaire, qui portait sur des questions de prix de transfert et de délais de paiement entre filiales, pourrait avoir des répercussions importantes pour les groupes internationaux opérant en France.

Le contexte de l’affaire

L’affaire remonte aux exercices fiscaux 2005 et 2006, période durant laquelle l’administration fiscale avait procédé à des vérifications de comptabilité de la SA Clarins. Le fisc reprochait à Clarins d’accorder des délais de paiement jugés anormalement longs à ses filiales étrangères, sans intérêts, tout en supportant des frais d’affacturage pour ces créances. L’administration y voyait un transfert indirect de bénéfices à l’étranger, pratique sanctionnée par l’article 57 du CGI.

Le revirement judiciaire

Après un premier rejet de sa demande par le TA de Montreuil, Clarins a fait appel de la décision. La CAA a non seulement annulé le jugement du tribunal pour insuffisance de motivation, mais a également statué en faveur de Clarins sur le fond de l’affaire.

Les arguments décisifs

La cour a relevé que les éléments de comparaison fournis par l’administration fiscale, censés prouver le caractère anormal des délais de paiement, ont été jugés non pertinents. La cour a estimé que ces comparaisons ne tenaient pas compte des spécificités du secteur d’activité de Clarins et de la nature particulière de ses transactions.

Les implications de la décision

Cette décision fait jurisprudence dans le domaine du contrôle fiscal des prix de transfert. Elle souligne l’importance pour l’administration fiscale de fournir des éléments de comparaison précis et pertinents lorsqu’elle cherche à démontrer l’existence d’un avantage consenti entre sociétés liées.

Pour les groupes internationaux, cette décision rappelle l’importance de documenter soigneusement leurs politiques de prix de transfert et de délais de paiement, en prenant en compte les spécificités de leur secteur d’activité.

Prix de Transfert : l’importance d’une analyse fonctionnelle étayée (CAA Paris, Engie)

Une analyse fonctionnelle adéquate et étayée, permettant d’apprécier avec précision la nature des fonctions, risques et actifs des parties à une transaction intragroupe, et leur intensité dans la chaîne de valeur et l’activité du groupe, est et restera toujours la clé de voûte de toute démonstration en matière de prix de transfert.

De la qualification fonctionnelle qui en résulte dépend en effet la sélection de la méthode de prix de transfert la plus appropriée, et partant, la répartition des grandes masses de valeur entre les parties et leur capacité respective à subir la volatilité du marché et des pertes à plus ou moins long terme.

L’évidence, qui relève désormais presque d’une lapalissade, a pourtant encore été rappelée par le juge de l’impôt dans l’affaire Engie.

Au cas d’espèce, l’administration contestait la méthode appliquée au sein du groupe (coût majoré, ou Cost Plus) au titre de contrats dits « single voice » qui regroupaient différents services rendus aux filiales aux Etats Unis et Luxembourg. Considérant que la société française endossait un rôle non pas de simple prestataire (ou de « courtier » dans l’arrêt), mais « une fonction stratégique », détenant « des actifs incorporels de valeur unique », l’administration lui a substitué la méthode dite « de partage des bénéfices » (ou profit split). Cette substitution conduisait mécaniquement à décaler de la rentabilité jusqu’alors captée par les filiales vers la société française, qui alors se trouvait rémunérée à l’aune du contrat global et non plus ses coûts engagés.

A l’issue d’une analyse fine des rôles des parties et de leur importance, la CAA de Paris conclut au rejet de la caractérisation opérée par l’administration et annule l’arrêt rendu en première instance.

L’analyse fonctionnelle a en effet mis en lumière que la société française ne mobilisait aucune fonction stratégique et que les filiales restaient les décisionnaires finales pour toutes les transactions.

L’arrêt rappelle l’impérieuse nécessité de décrire précisément les rôles des parties à l’aune de la chaîne de valeur dans laquelle ils s’inscrivent et l’importance de matérialiser ceux-ci par les ressources déployées en internes (substance permettant d’endosser les fonctions et de contrôler les risques inhérents).
CAA Paris 27 juin 2024 n°21PA01277

Opposabilité de la documentation prix de transfert. Oui, mais à partir de quand ?!

La loi de finances pour 2024 a acté le durcissement déjà observable sur le terrain en matière de prix de transfert, en renforçant le dispositif documentaire pesant sur les entreprises. Outre l’abaissement des seuils d’assujettissement, la documentation devient formellement opposable aux entreprises. Ainsi, afin de responsabiliser les entreprises sur la documentation qu’elles produisent et renforcer l’efficacité des contrôles fiscaux, l’article 116 de la loi de finances pour 2024 a complété l’article 57 et a conféré à la documentation relative aux prix de transfert un caractère opposable pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2024.

Mais faut-il alors comprendre que les documentations couvrant les exercices ouverts à partir du 1er janvier 2024 seront désormais opposables ; ou que toute documentation produite à compter de cette date, indépendamment de l’exercice qu’elle couvre, le seront ?

Si la loi ne tranche pas le sujet, il nous semble cependant assez certain que l’évènement à prendre en compte n’est pas l’exercice, mais le devoir de communication. Ainsi, toute documentation, même portant sur un exercice passé, voire ancien, serait désormais opposable à l’entreprise, dès lors qu’elle est produite au fisc après le 1er janvier. Ainsi, dans le cadre d’une vérification de comptabilité, en cas de divergence entre la politique de prix déclarée par l’entreprise et celle qu’elle pratique effectivement, l’écart entre le résultat constaté et le montant qu’il aurait atteint si cette documentation avait été respectée est désormais présumé constituer un transfert indirect de bénéfices, que l’administration peut réintégrer même pour le passé.

A l’appui de cette position, il faut considérer que cette mesure ne crée pas une obligation nouvelle dans le chef du contribuable, mais vient plutôt en préciser la portée. Elle échappe donc aux règles de non-rétroactivité de la loi fiscale. Surtout, le juge de l’impôt avait déjà tranché la question, en s’appuyant sur le contenu de la documentation produite lors des opérations de contrôle pour estimer la validité des rectifications opérées par l’administration. Dans deux affaires récentes soumises à la sagacité de la Cour administrative d’appel, le juge renvoie à des passages de la documentation prix de transfert du contribuable pour apprécier la bonne application de la méthode de rémunération pratiquée. Ainsi, dans l’affaire Sumitomo, la CAA de Lyon relève que la méthode de marge nette, qui pourtant figure dans la documentation, n’a pas été appliquée dans les faits (n° 21LY02821). Dans l’arrêt Itron, la CAA de Paris s’appuie sur l’explication produite par le rapport documentaire au titre des ajustements de prix de transfert pour discréditer l’interprétation qu’en a fait l’administration (n° 21PA04452). Dans ces deux affaires donc, c’est le contenu de la documentation qui a orienté les débats et fait naître une obligation dans le chef du contribuable. Avant même que l’opposabilité ne soit conférée par la loi de finances, la pratique l’avait donc déjà consacré.

Déductibilité des intérêts intragroupes : La preuve s’assouplit et se précise !

LES FAITS

A la suite d’une vérification de comptabilité de la société GEII Rivoli Holding au titre des exercices clos en 2013 et 2014, l’administration fiscale a remis en cause la déductibilité de la différence entre le taux pratiqué de 5,08% et celui de 2,79 % correspondant à la valeur mentionnée au 3° du 1 de l’article 39 du CGI.
Lors des phases contentieuses, la société a produit une première analyse identifiant à partir de l’outil RiskCalc développé par l’agence Moody’s, la note de risque qui aurait pu lui être attribuée, ainsi qu’ intervalle de taux établi par référence à ceux obtenus par quinze sociétés non financières, appartenant à des secteurs d’activité hétérogènes.
Une seconde analyse corroborative a été produite devant la CAA de Paris et fondée sur le calcul de deux ratios financiers, dont l’un, dit  » loan to value  » (LTV), adossée à des données relatives au marché obligataire issues de la base de données financières Standard et Poor’s Capital IQ.

LA RÈGLE

Un courant jurisprudentiel construit autour des années 2020 a redessiné les contours de la preuve en matière de déductibilité des taux pratiqués à l’égard d’associés majoritaires.
Spécifiquement, l’entreprise emprunteuse peut notamment s’appuyer sur les taux d’emprunts bancaires accordés, dans des conditions de pleine concurrence, à des sociétés relevant comme elle du secteur non financier, ayant obtenu des notes de crédit voisines de celle qui peut être déterminée pour elle, alors même que ces autres sociétés appartiendraient à des secteurs d’activité hétérogènes.
L’entreprise emprunteuse peut également tenir compte du rendement d’emprunts obligataires émanant d’entreprises se trouvant dans des conditions économiques comparables, lorsque ces emprunts constituent, dans l’hypothèse considérée, une alternative réaliste à un prêt intragroupe.

LES JUGES DU FOND

Le TAA de Paris en 2021, puis la CAA de Paris en 2022 ont rejeté les prétentions de la société et confirmé les rectifications opérées.
En premier lieu, les juges relèvent que pour justifier que le taux de 5,08 % servi à sa société mère, la société GEII Rivoli Holding a produit un rapport identifiant à partir de l’outil RiskCalc développé par l’agence Moody’s, la note de risque qui aurait pu lui être attribuée, soit Baa1. Or, cette note de risque avait été obtenue sans renseigner le secteur d’activité de la société requérante dans l’outil RiskCalc. Ainsi, la CAA a pu, sans entacher son arrêt d’erreur de droit, écarter pour ce motif cette méthode comme non probante dès lors qu’une telle circonstance conduisait à ne pas tenir compte de la situation économique particulière de la société.
En second lieu, pour écarter la méthode corroborative proposée par la société, la CAA a considéré que celle-ci ne justifiait pas qu’un emprunt obligataire aurait constitué, pour elle, une alternative réaliste à un prêt intragroupe.
Enfin, la CAA estime qu’il ne lui avait été fourni aucun comparable précisément identifié dont elle aurait été en mesure d’apprécier la pertinence.

LA SOLUTION DU CONSEIL D’ÉTAT

Le CE a accueilli positivement le premier argument des juges du fond, considérant à juste titre que le secteur d’activité de l’entreprise constitue un paramètre important devant être pris en compte lors du calcul de la note de crédit sur l’outil RiskCalc.
Cependant, il écarte le reste des arguments, validant ainsi la démonstration économique et statistique de la société. Plus précisément, le CE souligne :
– « La taille d’une société n’est pas à elle seule de nature à faire obstacle à l’accès à ce marché et que le caractère réaliste, pour une société ayant recours à un prêt intragroupe, de l’hypothèse alternative d’un emprunt obligataire ne s’apprécie qu’au regard des caractéristiques propres de cette société et de l’opération, les taux constatés sur ce marché devant le cas échéant être ajustés ».
– « Le taux de pleine concurrence avancé par la société comme correspondant à son niveau de risque reposait sur l’exploitation de courbes de taux établies sur la base de l’ensemble des transactions recensées, pour des emprunts de même durée contractés par des sociétés de même profil de risque, et qu’il n’était pas argué que le recensement des transactions figurant dans cette base n’était pas fiable ».

NOTRE ANALYSE

L’OUTIL RISKCALC EST UTILE, MAIS PAS TOUT PUISSANT

Développé par l’agence Moody’s, l’outil RiskCalc a acquis sa légitimité auprès du juge de l’impôt depuis l’arrêt Studialis de la CAA de Paris en 2020 (n°18PA01026).
Cet outil permet en effet de déterminer la note de risque d’un emprunteur, qui constitue la première étape essentielle dans la démonstration d’un niveau de pleine concurrence d’un taux pratiqué à l’égard d’associé majoritaires. Cependant, cet outil requiert une analyse fine des paramètres intrinsèques de cet emprunteur, tant quantitatifs que qualitatifs, au titre desquels figure notamment le secteur d’activité.
Ce dernier indicateur influence en effet grandement les perspectives de croissance, de rentabilité, et donc de risque, passées et futures, des acteurs composant un marché donné. A défaut d’avoir renseigné ce critère essentiel, l’analyse produite initialement ne pouvait être pertinente ou complète, car elle méconnait alors nécessairement la situation économique de la société.
Il est toutefois intéressant de noter que ni la contemporanéité de l’analyse, ni la pertinence des outils cités n’ont été discuté, validant ainsi et sans doute définitivement le courant prétorien amorcé par les arrêts Studialis précité, BSA de la CAA de Versailles (n°20VE03249), et Willink du Conseil d’Etat (n° 446669).
Surtout, on retiendra de l’arrêt que la démonstration ayant finalement emporté l’adhésion du Conseil d’Etat repose sur un ratio financier alternatif dit  » loan to value  » (LTV), qui rapporte le niveau d’endettement à la valeur des actifs immobiliers de la société. Cet indicateur conduisait en l’espèce à estimer, par comparaison avec les ratios de sociétés foncières françaises et européennes cotées, que la notation financière qu’elle aurait pu obtenir n’aurait pas dépassé BBB, soit une sphère proche de celle proposée initialement par RiskCalc.
Au cas d’espèce, le ratio LTV avait été calculé en tenant compte d’une dette financière correspondant exclusivement à l’emprunt dont il convenait d’apprécier le taux. On aurait pu alors penser que le calcul était vicié, car circulaire. Mais en se concentrant sur l’emprunt principal (dont l’objet et le montant n’étaient pas contestés), sans prendre en compte les intérêts (dont le taux était au centre des débats), le ratio était en effet pertinent et valable.

LA CONSÉCRATION DU MARCHÉ OBLIGATAIRE

Dans son Avis Wheelabrator de Juillet 2019, le Conseil d’etat avait ouvert la voie à une approche pragmatique, alignée avec la pratique OCDE, de la démonstration par le contribuable du caractère de « pleine concurrence » d’un taux d’intérêt pratiqué dans le cadre d’un financement intragroupe, permettant notamment l’utilisation de référentiels obligataires.
Cependant cet avis, de même que les décisions qui ont suivi, semblaient contenir une réserve, en conditionnant la référence au marché obligataire à la démonstration que « ces emprunts constituent, dans l’hypothèse considérée, une alternative réaliste à un prêt intragroupe ». En d’autres mots, le contribuable semblait devoir pouvoir apporter la preuve que l’émission d’obligations constituait pour lui une option réaliste et alternative au recours à un emprunt classique auprès d’une banque ou d’un établissement de crédit.
Dans son considérant n°10, le CE semble néanmoins renforcer la charge de la preuve dans le chef de l’administration. Le juge considère en effet que « le caractère réaliste, pour une société ayant recours à un prêt intragroupe, de l’hypothèse alternative d’un emprunt obligataire ne s’apprécie qu’au regard des caractéristiques propres de cette société et de l’opération, les taux constatés sur ce marché devant le cas échéant être ajustés pour tenir compte des spécificités de la société en cause ». Pour écarter la référence au marché obligataire, il semble alors que l’administration doive démontrer que compte tenu de ses paramètres propres et intrinsèques, cette option serait dépourvue d’objet, ou non adéquate.
Il nous semble que cette preuve relève de l’impossible.

LES BENCHMARKS POUR TOUS?

Si l’analyse économique en deux temps semble désormais bien reconnue par le juge de l’impôt, tant dans sa composante de calcul de risque de crédit que de recherche de comparables sur des marchés obligataires, on rappellera que cette démarche ne vaut que si le prêteur est associé majoritaire au sens de l’article 212-I. Les associés minoritaires ne peuvent se prévaloir de cette analyse pour justifier d’un taux différent de celui visé à l’article 39-1-3 du CGI (voir notamment CAA Versailles, Sté Financière Lilas, n°19VE00546). Ce courant renforce donc un peu plus la différence de traitement entre contribuables.

France v/s. SAS Itron France January 2024

Facts, Procedures, and the Decision

STATEMENT OF FACTS

SAS Itron France (“Taxpayer”) (a manufacturer and distributor of water, electricity and gas meters) was the subject of a tax audit for the financial years 2012 and 2013, which resulted in an assessment. The tax authorities (“TA”) considered that the transfer pricing applied by the group had resulted in an understatement of taxable income in France and a transfer of profits to a Hong Kong-based distributor of the group. An appeal was filed by SAS Itron France and in a ruling handed down on 2 December 2021, the Administrative Court annulled the assessment. The TA filed an appeal against this ruling. The Administrative Court of Appeal dismissed the appeal and decided in favor of SAS Itron France. The TA concluded that the Taxpayer had granted an unfair advantage to its related party distributor within the meaning of Article 57 of the French Tax procedure Code.

ARGUMENTS OF THE TAX ADMINISTRATION

The Taxpayer is a manufacturer as well as a distributor of water, electricity, and gas, therefore it is in a situation of mutual dependence with its Group entities. The TA tested the Taxpayer’s relations as a producer with group distributors and followed a “profit-sharing” method. It further functionally analyzed the Taxpayer and then attributed the following distribution margin between the manufacturer and the distributors :
(i) 53% and 47% for “gas” product line respectively;
and
(ii) 51% and 49% for water and electricity respectively.
The TA stated that the Taxpayer’s profit as a manufacturer was insufficient in relation to the overall margins determined by the TA (i.e., 53% and 51%)

THE DECISION

The Court rejected the adjustment sought by the TA in terms of the group’s transfer pricing policy as such adjustment can only be warranted in the event of a significant differences between the transfer price resulting from this method and the economic reality, such adjustments are provided for only in exceptional circumstances and under a procedure that derogates from the “cost-plus” method. The Court observed that the TA failed to demonstrate whether any special circumstances arose during the period of assessment (FY2012 and FY2013) which could justify the adjustment. The Court ultimately stated that the TA had failed to interpret tax law as they could not establish any consistency to their allegations. The case was therefore dismissed in the final appeal.

CARA ANALYSIS

BREAK DOWN OF THE DECISION

On one hand, the Court gave consideration to the Taxpayer’s claim that in order to reconstitute the transfer prices between SAS Itron France as a manufacturer and its related party distributors, the TA used the margin of the distributing entities after deducting the sale price of SAS Itron France’s products, without taking into account the distributor’s own operating expenses (such as cost of discounting ; commissions paid to agents; rebates and discounts; product shipping costs; insurance costs incurred in transporting products; customs duties; product packaging costs), even though these expenses contribute to the distributors’ share of the Group’s net margin to which they should be entitled.
On the other hand, the TA deducted their direct expenses from the margin of the manufacturing entities, including SAS Itron France, to which the gross margin rates mentioned in the previous point apply under the cost-plus method.
Without calling into question the parameters used by SAS Itron France to determine its transfer prices as a producer (costs used and margin rates mentioned) determined within an arm’s length interval), the TA had carried out a comparison of heterogeneous margins, gross for the distributing entities and net for the producing entities. Moreover, for an adjustment to be applied, three conditions must be met:

  • existence of new markets or invitations to tender;
  • existence of a turnover exceeding 10% of the distributor’s revenue;
  • existence of a variation in the distributor’s turnover of at least 500,000
    euros.

The Court observed that the TA failed to demonstrate the existence of the above elements.

THE CONCLUSION

At CARA we always stress on the importance of really understanding the functions and risks undertaken by the parties to a given controlled transaction, as it is extremely crucial not only in determining the range but also in applying the correct methods and profit level indicators (PLIs) to derive the range. This decision of the Court is a case in point for the same.
Different methods and PLIs test different functions of the tested party, especially when the tested party has dual profiles. Therefore, one must be sure to test the correct profile (for e.g., distributor or manufacturer) and the risks associated with that profile, as demonstrated by this case law.
Moreover, experience has shown us that the application of most methods will be imperfect, even, for example, by applying the CUP method which bases itself on very precise internal and/or external comparables. The reason for the same is that
(i) comparable data available for testing such method may certainly not take into account the various risks undertaken by the parties; or
(ii) it may not reflect the economic reality at a given period of time.

However, we may conclude that clear and cogent functional and risk characterization is key in determining a relevant interquartile range, and is therefore, THE antidote to tax assessments.

La pénalité de 10% pour déclaration tardive de RAS doit-elle être automatique?

CAA Lyon, 5ème ch. 21/12/2023; n°21LY02821; Sumitomo
Chemicals Europe

LES FAITS

A la suite d’une vérification de comptabilité de la société Sumitomo Chemicals Europe (SCAE), l’administration fiscale a considéré que les transactions intragroupes dans lesquelles celle-ci était impliquée ne respectaient pas le principe de pleine concurrence. Les avantages ainsi concédés ont été classiquement qualifié de « revenus réputés distribués », ce qui compte tenu des conventions fiscales applicables, donnent lieu à une retenue à la source. Dans la mesure où la société n’a évidemment pas déclaré cette retenue à la source, dont l’existence n’a été mise en lumière qu’à l’issue de la rectification, la pénalité de l’article 1728 du CGI.

LA RÈGLE

Pour rappel, dès lors qu’une rectification sur le terrain de l’article 57 du CGI est opérée par le service, celui-ci considère qu’un transfert indirect de bénéfice a eu lieu, qui doit alors suivre le traitement des distributions de dividendes. Une retenue à la source est alors prélevée, en plus de l’impôt sur les sociétés, et dont le taux est calculé par référence à la convention fiscale applicable au cas d’espèce. Il s’agit là d’une conséquence collatérale des rectifications en matière de prix de transfert, qui a à de nombreuses reprises été validée par le juge de l’impôt et que nous ne discuterons pas ici.
La pénalité visée à l’article 1728 du CGI sanctionne le défaut de production dans les délais prescrits d’une déclaration ou d’un acte comportant l’indication d’éléments à retenir pour l’assiette ou la liquidation de l’impôt. Cette pénalité, exprimée en pourcentage du montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l’acte déposé tardivement, est égale à 10% en l’absence de mise en demeure, ce qui est le cas à l’issue d’une rectification mettant en lumière un revenu réputé distribué.

LA POSITION DES JUGES

Le TAA de Lyon en 2021, avançait dans son considérant numéro 20 « En se bornant à faire état du caractère non volontaire de cette omission et de son droit à l’erreur, la société requérante ne conteste pas utilement le bien-fondé des pénalités ainsi mises à sa charge sur le fondement des dispositions précitées ». Or, dans de nombreux cas, il ne s’agit pas pour le contribuable de faire état de sa bonne foi ou de son droit à l’erreur, ni de requérir la modération de ces pénalités, que le juge de l’impôt s’est toujours refusé à pratiquer. Il s’agit au contraire de la pertinence d’une pénalité automatique, liée à une infraction dont le contribuable ne peut connaître l’existence ni le quantum avant les rectifications.
La CAA persiste toutefois, et considère que « les dispositions précitées proportionnent la majoration aux agissements commis par le contribuable en prévoyant que son montant est fixé en pourcentage des droits éludés. Il ressort en outre des dispositions de l’article 1728 que les taux de majoration appliqués varient selon que le défaut de déclaration dans le délai a été constaté sans mise en demeure de l’intéressé ou après une ou deux mises en demeure infructueuses, de sorte que la loi elle-même a ainsi assuré, dans une certaine mesure, la modulation des peines en fonction de la gravité des comportements réprimés. Il s’ensuit que le moyen tiré du caractère automatique de l’application d’une majoration de 10 % ne peut qu’être écarté ».

NOTRE ANALYSE

UNE PÉNALITÉ IMPOSSIBLE À PRÉVOIR DANS SON PRINCIPE…

Dans la mesure où la pénalité de l’article 1728 du CGI est appliquée de manière automatique, dans une situation où le contribuable est dans l’impossibilité de s’y conformer, elle excède selon nous l’objectif que cet article est censé poursuivre et crée donc une erreur dans l’appréciation de la base légale.
Il nous semble en effet que le bienfondé fiscal d’une pénalité automatique est à revoir, dès lors qu’elle vient sanctionner un comportement non seulement involontaire du contribuable, mais surtout inévitable, tant le contribuable ne peut avoir connaissance ni de l’existence, ni du montant de la retenue à la source à déclarer.
En effet, cette pénalité vient frapper la retenue à la source, qui elle-même est une conséquence collatérale d’une rectification principale en matière d’impôt sur les sociétés, et dont l’existence et le quantum ne sont connus qu’à l’issue de la
procédure de contrôle:
Sur l’aspect temporel d’une part : cette retenue à la source découlant du transfert indirect de bénéfice ne peut en toute logique être connue du contribuable qu’à l’issue du contrôle fiscal, soit après que l’administration a considéré qu’un transfert indirect de bénéfice a eu lieu. Il est donc matériellement impossible que le contribuable puisse produire la retenue à la source dans les temps qui lui sont impartis, puisque le fait générateur de cette retenue lui est alors inconnu. Au cas d’espèce, l’administration a mis en lumière l’existence de la retenue à la source à l’occasion de sa proposition de rectification du 4 août 2014, soit pour l’exercice 2010, 44 mois après le fait générateur réputé ; et 32 mois après le fait générateur pour l’exercice 2011. Or, pour se conformer à l’article 1728 du CGI, le contribuable aurait dû théoriquement déclarer le transfert de bénéfice avant le quinzième jour qui suit le mois de ce transfert, c’est-à-dire avant le 15 janvier 2011 pour l’exercice 2010 ; et avant le 15 janvier 2012 pour l’exercice 2011.

NI DANS SON QUANTUM!

Sur le quantum, d’autre part : la pénalité est exprimée en pourcentage de la retenue à la source, elle-même étant calculée par référence aux rectifications en matière de prix de transfert.
Plus exactement, cette retenue à la source vient frapper le rehaussement en base opéré sous le visa de l’article 57 du CGI, qui est alors qualifié de revenu réputé distribué. Or, la matière des prix de transfert forme une discipline subjective, dont les bornes ne sont pas clairement tracées. Qu’il s’agisse des transactions tombant dans le champ de cette matière, ou de l’étalonnage du transfert réputé de bénéfice, le contribuable ne peut rationnellement et à l’avance connaître avec exactitude le montant d’un transfert indirect de bénéfice et, partant, le montant de retenue à la source théorique qu’il aurait dû déclarer.

LES BENCHMARKS POUR TOUS?

Enfin, nous rappellerons que les pénalités fiscales, qui sont synonymes de sanctions, visent à réprimer le comportement du contribuable. C’est là l’essence même de la différence avec l’intérêt de retard, qui entend pour sa part compenser le préjudice financier. La jurisprudence du Conseil d’Etat est claire sur ce point, et souligne a contrario le lien intrinsèque entre les pénalités fiscales et le comportement du contribuable. Or dans notre cas, le comportement du contribuable ne peut en aucun cas être volontaire, pas plus qu’il peut être au cas d’espèce modifiable, ou anticipé. En cela, nous pensons que l’article 1728 du CGI ne peut trouver application en pareil cas, car son dispositif devrait être limité aux cas où le contribuable a connaissance des obligations qui pèsent sur lui.
Maintenir alors les sanctions de l’article 1728 reviendrait à retirer leur qualité de pénalités fiscales, pour en faire de véritables impôts. En effet, ces pénalités seraient alors dissociées du comportement, qui constitue l’élément intrinsèque pour tomber dans le champ des pénalités fiscales, mais viendraient en réalité appliquer automatiquement un taux (en l’espèce 10%) sur une assiette (le transfert réputé de bénéfice), à l’instar d’un impôt.

La limitation de la déductibilité des charges financières visée à l’article 39-1-3 résistera-t-elle longtemps au droit international ?

Ces dernières années, l’article 39-1-3 du code général des impôts a réussi à se hisser parmi les dispositifs fiscaux les plus connus. Comme une sorte de code, un mot de passe numérique réservé à une communauté à part. On ne parle plus du taux d’intérêt déductible. On dit « le taux du 39-1-3 ». Faites le test, cela vous permettra de repérer les fiscalistes dans l’assistance.

Pour rappel ce texte, aussi incongru et anti-économique soit-il, précise que « les intérêts servis aux associés à raison des sommes qu’ils laissent ou mettent à la disposition de la société, en sus de leur part du capital, quelle que soit la forme de la société, [sont déductibles] dans la limite de ceux calculés à un taux égal à la moyenne annuelle des taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit et les sociétés de financement pour des prêts à taux variable aux entreprises, d’une durée initiale supérieure à deux ans ».

Incongru, car il se pose comme une spécificité française dont Bercy a le secret, et s’ajoute à une liste déjà longue de dispositifs visant à contraindre les charges financières des entreprises.

Anti-économique, car il conduit les entreprises à devoir limiter la déductibilité fiscale d’intérêts qu’elles servent à des associés minoritaires (voire très minoritaires), alors qu’une exception est offerte aux associés détenant plus de la majorité du capital social de la débitrice grâce à l’alternative visée à l’article 212-I. Cela peut donc conduire dans les faits à contraindre les entreprises ayant souscrit un emprunt, ou qui ont émis des obligations au profit d’établissements bancaires tiers, et qui comme souvent, entrent au capital de ladite société pour suivre son évolution. Voyez le paradoxe : la BPI, qui contribue à l’essor de notre économie, détient très souvent des parts minoritaires dans le capital des sociétés qu’elle soutient ; les mêmes sociétés qui ne pourront donc pas déduire l’intégralité des intérêts financiers qu’elles lui reversent, dès lors que les taux d’intérêt pratiqués à leur égard, quand elles sont en situation de démarrage, ou pour des obligations qu’elles émettent, sont statistiquement bien au-delà du taux du fameux article 39-1-3.

Mais dès lors que ces actionnaires minoritaires sont situés dans un autre Etat que la France, ce dispositif de l’article 39-1-3 du CGI résiste-t-il au principe de pleine concurrence, visé à l’article 9 du modèle de convention fiscale de l’OCDE ? Ce principe de pleine concurrence peut en effet offrir un taux radicalement distinct, dès lors qu’il reflète des conditions de marchés et ce que des entreprises indépendantes, placées dans une situation similaire, auraient négocié entre elles.

Si l’on se pose un instant, la limitation prévue par cet article 39-1-3 entre en effet en contradiction avec l’article 9 du modèle, que l’on retrouve dans toutes les conventions signées par la France, et qui permet d’appliquer un taux alternatif. Les principes de subsidiarité et de primauté des traités devraient alors jouer leur rôle cher aux théoriciens du droit fiscal, et donc faire prévaloir la possibilité des parties liées de démontrer la justesse du taux qu’elles ont appliqué en réalité.

Dans bon nombre de conventions, l’article 9§1 vise le cas d’une « entreprise d’un Etat contractant [qui] participe directement ou indirectement à la direction, au contrôle ou au capital d’une entreprise de l’autre Etat contractant, ou que les mêmes personnes participent directement ou indirectement à la direction, au contrôle ou au capital d’une entreprise d’un Etat contractant et d’une entreprise de l’autre Etat contractant ». Or, participer directement ou indirectement à la direction ou au capital ne requière pas d’être associé majoritaire. Si l’on s’en tient là, le principe de pleine concurrence pourrait donc être appliqué à tout associé dès lors que par nature, celui-ci « participe au capital ». Mais comme tout bon fiscaliste est un paranoïaque en puissance, allons plus loin et posons-nous un instant sur la notion de « contrôle », qui semble plus ambigüe. Or, force est de constater que la définition de cette notion telle que produite par l’OCDE semble aussi grise que le béton du château de la Muette qui abrite ses services.

Les commentaires de l’OCDE indiquent en effet que « Deux entreprises sont associées si l’une d’entre elles remplit les conditions fixées à l’article 9 alinéas 1a) ou 1b) du Modèle de Convention fiscale de l’OCDE vis-à-vis de l’autre entreprise ».

Les commentaires éclairant l’article 9 du modèle de convention précisent quant à eux que « le comité a consacré beaucoup de temps et d’efforts (et continue de le faire) à l’étude des conditions d’application de cet article, aux conséquences de cette application, et aux méthodologies qui sont applicables pour l’ajustement des bénéfices lorsque des transactions ont été conclues dans des conditions autres que celles de pleine concurrence. Les conclusions de cette étude sont décrites dans le rapport intitulé ‘principes applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales’ qui est périodiquement mis à jour dans le but de tenir compte de l’évolution des travaux du comité sur cette question. Ce rapport représente des principes internationalement admis et donne des lignes directrices pour appliquer le principe de pleine concurrence dont l’article 9 constitue l’énoncé faisant autorité ».

Poursuivons donc le jeu de piste et référons-nous alors aux principes directeurs de l’OCDE qui…reproduisent la même définition que les commentaires sous la convention modèle.

Il apparait donc que la notion de contrôle, qui est clé pour l’applicabilité du principe de pleine concurrence, n’est pas explicitement ou formellement définie par les standards du droit international. La nature ayant horreur du vide, il convient alors de se reporter au droit interne de chaque Etat.

Dans notre cas, l’article 39-12 du CGI précise que « Des liens de dépendance sont réputés exister entre deux entreprises : (a) lorsque l’une détient directement ou par personne interposée la majorité du capital social de l’autre ou y exerce en fait le pouvoir de décision ; (b) lorsqu’elles sont placées l’une et l’autre, dans les conditions définies au a, sous le contrôle d’une même tierce entreprise ». Du point de vue de notre droit positif français donc, le contrôle semble bien devoir être apprécié sous l’angle de la majorité (du capital ou du pouvoir de décision).
Le jeu de piste aurait-il alors conduit à une impasse, laissant le contribuable face à la froide injustice de l’article 39-1-3 ? Et bien, peut-être pas pour longtemps. La Commission européenne a dévoilé, le 12 septembre 2023, deux projets de Directives, relatives, respectivement, à l’initiative « BEFIT » et à une harmonisation des règles prix de transfert au sein de l’UE. Ce second projet de directive entend simplifier la réglementation applicable et de réduire le risque de double imposition, en intégrant le principe de pleine concurrence dans le droit de l’Union. Un des biais par lequel la sécurité fiscale serait renforcée passe par l’harmonisation des principales règles en matière de prix de transfert, en créant la possibilité pour la Commission d’établir, au sein de l’Union, des règles communes sur des sujets spécifiques.

Or, pour définir une entreprise associée, l’article 5 du projet de Directive propose notamment de retenir un seuil de détention de minimum 25% dans les droits de vote, le capital ou le bénéfice d’une entité pour établir un lien de dépendance. La transposition en l’état de la Directive conduirait donc mécaniquement et nécessairement à permettre aux associés minoritaires de se prévaloir du principe de pleine concurrence, et donc de faire échec aux dispositions de l’article 39-1-3 du CGI qui, en figeant un taux d’intérêt, vient en contradiction avec l’alternative offerte par le droit international et plus spécifiquement l’article 9 du modèle de convention fiscale. La contrainte du dispositif de l’article 39-1-3 du CGI dont souffre actuellement les associés minoritaires seraient donc levée pour certains associés seulement, qui d’une part disposeraient de 25% au moins du capital social, soit directement, soit indirectement, ou qui seraient placés sous une entité commune dépassant ce seuil ; et d’autre part, qui seraient résidents d’un autre Etat que la France.

Notre droit positif créerait cependant une double discrimination, en maintenant sous le joug de l’article 39-1-3 les associés ultra-minoritaires, détenant moins de 25% du capital de la société débitrice, et les associés établis en France. Pour ces derniers, la discrimination à rebours nous a déjà habitué à moins bien traiter les opérations purement domestiques.

Pour les associés étrangers, mais détenant moins de 25%, le fisc vous le dira : on a toujours besoin d’un plus petit que soi.