Cara Avocats

La preuve est-elle devenue impossible pour le contribuable ?

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE PARIS, 2EME CHAMBRE, 29 JUIN 2022

NOTRE ANALYSE

LA NOTION DE PRIX DE TRANSFERT EST DEVENUE OBSOLÈTE

Au cas d’espèce, l’administration, suivie par le juge, a réduit les déficits de la société en raison des charges qu’elle a supportées et qui selon elle, contribuent à valoriser la marque détenue entre les mains de la mère japonaise.
Les prix de transfert se dégagent donc des « transactions » économiques, qui supposent une vente, pour désormais s’attacher aux « relations » économiques, qui s’exonèrent de tout transfert. Cette démarche, qui rompt avec des années de décisions antérieures, consacre une dynamique qui transparaissait en réalité déjà entre les lignes des travaux de l’OCDE et des propositions de rectifications. Elle rapproche encore un peu plus la matière de la théorie prétorienne de l’acte anormal de gestion, qui conduit à analyser une opération de manière holistique, sans désormais avoir à qualifier précisément l’anomalie présumée. Ce n’est donc pas tant le flux, mais la situation d’ensemble qui
dorénavant est scrutée au titre du dispositif de l’article 57 du CGI.

LA CONSÉCRATION DE LA MÉTHODE DE LA MARGE NETTE

En l’espèce, l’administration a comparé la marge nette reconstituée de la société au titre de son activité de détaillant avec celle dégagée par un panel de comparables. Or, seuls les achats de marchandises concentrent la transaction économique liant Issey Miyake Europe à sa mère japonaise. Le gros des charges d’exploitation est donc composé de dépenses qui ne correspondent pas à une transaction économique clairement désignée entre ces deux parties.
Depuis longtemps l’administration a fait de la méthode transactionnelle de la marge nette sa méthode de prédilection. Cette préférence s’expliquait aisément par la plus grande souplesse qu’elle offre dans la quête de comparables, mais aussi, admettons-le, par le fait qu’en se concentrant sur un agrégat proche du résultat fiscal, elle assurait potentiellement une plus grande certitude de rappel d’impôt. Pendant longtemps, le juge de l’impôt se désolidarisait de cette démarche, en considérant que l’analyse d’une marge nette dilue trop largement la, ou les transactions intragroupes, renvoyant donc l’administration à la nécessité de démontrer que les pertes reprochées sont directement attribuables à des prix d’achat trop élevés, ou des ventes minorées, et non à une gestion dépensière des frais fixes par exemple. Les récentes décisions en la matière avaient cependant déjà amorcé ce revirement, qui en trouve une nouvelle manifestation dans la décision de la Cour administrative d’appel de Paris. Pour la Cour, la responsabilité revient au contribuable et sa gestion du contradictoire, et indique « qu’il ne résulte pas de l’instruction que celle-ci aurait disposé d’informations suffisantes, internes au groupe, en matière de prix de transfert lui permettant de retenir une méthode fondée sur les transactions » (considérant 11).

UNE PAUPÉRISATION DES ANALYSES ECONOMIQUES ?

Pour faire présumer l’avantage concédé à la société japonaise, l’administration a réalisé une recherche de comparables ayant permis de capturer 7 sociétés engagées dans la vente au détail de vêtements. Il semblerait que ces comparables n’étaient pas engagées sur le secteur du luxe et qu’ils aient pu être multimarques, positionnés sur des gammes différentes, ou sujets à des volumétries de ventes plus faibles. Autant de critères qui, si l’on s’en tient aux facteurs de comparabilités suggérés par l’OCDE, sont autant d’éléments différenciant venant affecter la comparabilité et donc, la fiabilité de ces sociétés et des résultats qu’elles produisent au titre de l’étude de leurs marges.
Pour autant, le juge valide ce panel, au motif que la méthode de marge transactionnelle de la marge nette s’exonèrerait de ces différences pourtant fondamentales. Ce faisant, tout le travail de démonstration qui pourtant, devrait reposer sur le service, est renversé sur le contribuable. On lit en effet que « Issey Miyake Europe, qui ne propose d’ailleurs aucun ajustement relatif à l’impact des charges spécifiques dont elle se prévaut, et qui ne contribueraient pas à la valorisation de la marque, fait valoir qu’elle n’a elle-même pas été en mesure d’identifier des sociétés françaises indépendantes distribuant des vêtements de prêt-à-porter de luxe ».
Cette décision rompt avec des arrêts antérieurs, qui ont longtemps discrédité les rectifications opérées par l’administration dès lors que celle-ci n’était pas en mesure d’identifier des comparables pertinents. Désormais, il suffira à l’administration de s’appuyer sur une méthode de marge nette et de simplement capter des sociétés indépendantes, engagées dans une grande typologie d’activité (distribution, fabrication, prestation de service), sans plus avoir à appliquer des ajustements afin de parfaire la comparabilité.

LA CONSÉCRATION DE LA MÉDIANE

Enfin, cette décision met un terme à un débat que l’affaire GE Healthcare avait laissé pendant, et qui avait semble-t-il ouvert la voie pour le service à rectifier systématiquement les marges à hauteur de la médiane de l’intervalle. La lecture de cette précédente décision suggérait cependant que cette tendance assumée de l’administration relevait d’une mauvaise interprétation de l’arrêt de 2018. Le doute n’est désormais plus permis, et il incombe au contribuable d’apporter tout élément permettant d’apprécier l’irrecevabilité automatique de la médiane, pour y préférer un point dans l’intervalle plus adapté.
Là encore, on peut déplorer que la charge de la preuve ait été renversée sur le contribuable, dont on pourrait pourtant penser qu’il détient moins d’informations sur l’état du marché, ou de ses concurrents, lui permettant de cibler un point dans l’intervalle davantage fidèle à sa situation.

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