SITUATION DE DÉPART
La société STMicroelectronics exerce une activité de R&D dans le domaine des technologies liées aux
semi-conducteurs pour laquelle elle perçoit un crédit d’impôt recherche. Elle a conclu avec sa société- mère, la société STMicroelectronics NV, un contrat- cadre dit en vertu duquel STMicroelectronics réalise des opérations de R&D pour le compte de la société STMicroelectronics NV. Cette dernière définit le programme de recherche et est titulaire des droits de propriété intellectuelle résultant de ces opérations. Elle verse à la société STMicroelectronics une rémunération calculée par application d’un taux de marge de 7% aux coûts des opérations de R&D supportés par la société STMicroelectronics (Net Cost Plus), diminués du montant des crédits d’impôt recherche et des subventions publiques liées aux opérations de recherche qu’elle a reçus.
CONTRÔLE DE L’ADMINISTRATION
A la suite d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2012 et 2013, l’administration a estimé que la déduction des crédits d’impôt recherche et des subventions publiques de la base des coûts refacturés par la société STMicroelectronics induisait un transfert indirect de bénéfice à l’étranger, au sens de l’article 57 du code général des impôts. Elle a rehaussé les produits comptabilisés par la société à concurrence, de la réintégration du montant de ces subventions et du crédit d’impôt recherche dans le coût de revient retenu pour la détermination du prix de cession et lui a notifié des rehaussements des bases d’imposition à l’impôt sur les sociétés. Tirant les conséquences, pour la détermination de la valeur ajoutée de la société contrôlée, de la rectification des produits comptabilisés, l’administration a notifié à la société STMicroelectronics des rappels de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, de ses taxes additionnelles et frais de gestion pour les exercices clos en 2012 et 2013.
DÉCISION DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF
Par un jugement n° 1907583 du 17 décembre 2020, le tribunal administratif de Montreuil a déchargé la société des suppléments de cotisation à l’impôt sur les sociétés ainsi que de contribution sociale et de contribution exceptionnelle sur cet impôt et des pénalités correspondantes. Cependant, la société estime que cet arrêt est entaché d’une erreur matérielle, et demande la décharge des suppléments de cotisation à l’impôt sur les sociétés ainsi que de contribution sociale et de contribution exceptionnelle à cet impôt et des pénalités correspondantes.
DÉCISION DE LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL
Le 16 août 2022, la Cour d’Appel annule l’arrêt rendu et prononce la décharge des impositions.
Le juge de l’impôt considère la déduction du CIR, opérée par une société française, pour la détermination du prix de cession du produit à facturer à une société étrangère qui lui est liée en application d’un contrat, ne saurait être considérée comme permettant, par elle- même de présumer l’existence d’un transfert de bénéfices à l’étranger, au sens de l’article 57 du code général des impôts.
NOTRE ANALYSE
AVANTAGE PAR NATURE VS AVANTAGE PAR COMPARAISON
Dans cette affaire, la Cour rappelle un des fondements de la dialectique de la preuve en matière de prix de transfert, consistant à appréhender de manière différente ce que le Commissaire du Gouvernement Emmanuel Glaser qualifiait d’avantages « par nature », par opposition aux avantages « par comparaison ». Les premiers sont faciles à percevoir, car ils ne sont compensés par aucune contrepartie directe, comme par exemple des prêts sans intérêts. Les seconds sont plus ténus, car ils requièrent une analyse économique (un benchmark) visant à identifier des références tierces, nécessairement, indépendantes, et placées dans des conditions similaires à celles entourant la transaction intragroupe objet des rectifications. Cette distinction a permis de donner lieu à un considérant repris quasi systématiquement par les juges en matière de prix de transfert, invitant l’administration, pour apporter une présomption de transfert indirect de bénéfice à l’étranger, selon lequel « à défaut d’avoir procédé à une telle comparaison, le service n’est, en revanche, pas fondé à invoquer la présomption de transfert de bénéfices ainsi instituée mais doit, pour démontrer qu’une entreprise a consenti une libéralité en facturant des prestations à un prix insuffisant, établir l’existence d’un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé ou du service rendu ».
Il est intéressant de noter ici que la Cour considère que l’avantage critiqué par l’administration est un avantage par comparaison, qui enjoignait donc le service à démontrer, par le biais d’une recherche de comparables, que des références tierces et indépendantes auraient (ou non) déduit de leur base de coûts sur laquelle repose la marge les montants du CIR et des autres subventions.
QUELLE DÉDUCTION?
En l’espèce, l’arrêt met en lumière le fait que la société avait déduit de sa base de coûts les montants du CIR, réduisant donc l’assiette sur laquelle repose la marge de 7%. Ce faisant, la société a appliqué la méthode transactionnelle de la marge nette, couplée à un indicateur de profit de type « Net Cost Plus ». Une alternative aurait pu consister à déduire le CIR non pas de la base de coûts, mais du montant total constitué de ce Net Cost Plus 7%. La décision aurait ainsi pu être différente, car le CIR vient justement compenser des coûts supportés. La démarche de la société permet ainsi de respecter la nature même du CIR, en considérant que son impact joue sur les coûts, et non pas la rentabilité totale de la société.
UNE PIERRE DE PLUS
La décision de la CAA de Paris permet d’ajouter une pierre au début de solution apportée par la décision de la CAA de Versailles du 11 octobre 2016, Sté Philips France (n°14VE02651). Dans cette ancienne affaire, le juge avait rejeté les prétentions de l’administration au motif que les comparables produits n’étaient pas indépendants. La preuve était donc par nature viciée. Devant le Conseil d’Etat, le Ministre était à nouveau débouté au motif qu’aucune analyse économique plus fondée n’avait été apportée (CE, 19 septembre 2018, n°405779). Il apparaissait cependant déjà donc que l’avantage réputé exister était un avantage par comparaison, et non par nature.
ATTENTION AUX CONTRATS!
Dans l’arrêt du Conseil d’Etat de 2018, le juge de l’impôt considérait « qu’alors même que l’accord entre les deux sociétés ne stipulerait pas expressément que le prix de revient pris comme base de calcul du prix de vente s’entendrait du coût effectivement supporté, net du montant des subventions, le ministre n’est pas fondé à soutenir que la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit ». Seule l’analyse comparative comptait alors. Il nous semble que cette démarche pourrait désormais être remise en cause, en raison notamment de la décision passée trop inaperçue SAP France Holding (CAA Marseille, 08 juillet 2021, n°20MA00804). Cette décision rappelle l’impérieuse nécessité de préciser, dans le contrat, les composantes exactes de la base de coûts sur laquelle repose la marge. Dans l’affaire SAP, le contrat prévoyait que tous les coûts devaient être refacturés. Inspirée, le service en avait déduit alors que la CVAE, qui est déduite du résultat de la société, devait donc faire partie des coûts refacturés au partenaire étranger.