Cara Avocats

Les conventions de trésorerie à taux zéro forment-elles un acte anormal de gestion ?

SITUATION DE DÉPART

La société SAP France est détenue indirectement par la société de droit allemand SAP AG. Par un contrat daté de 2009, SAP France a conclu avec sa société mère une convention de gestion de trésorerie centralisée, en vertu de laquelle elle déposait ses excédents de trésorerie auprès de la société allemande, lesquels étaient rémunérés sur la base d’un taux d’intérêt égal au taux de référence interbancaire EONIA minoré de 0,15 points. Au cours des années 2012 et 2013, l’application de cette formule aboutissant du fait de l’évolution de l’EONIA à une rémunération négative, les parties à la convention de gestion de trésorerie ont convenu de fixer ce taux à 0 %.

CONTRÔLE DE L’ADMINISTRATION

A la suite d’une vérification de comptabilité de la société SAP France portant sur les exercices clos en 2012 et 2013, l’administration fiscale a remis en cause le caractère normal de cette rémunération nulle en considérant que l’absence d’intérêts que portait cette convention de trésorerie constitue un avantage par nature. Elle a dès lors rectifié le résultat de la société assujetti à l’IS, et considéré cet avantage comme un revenu réputé distribué à la société allemande, sujet à une retenue à la source.

DÉCISION DE LA CAA DE VERSAILLES

Pour juger que la société SAP France avait consenti à la société SAP AG une libéralité en renonçant à percevoir une rémunération en contrepartie du dépôt de ses excédents de trésorerie auprès de cette dernière, la cour administrative d’appel s’est fondée sur la circonstance que cette rémunération nulle était sans rapport avec celle à laquelle la société aurait pu prétendre si elle avait placé sur la même période ses excédents de trésorerie auprès d’un établissement financier, sans que cette absence de rémunération trouve sa contrepartie dans la possibilité de financer des besoins de trésorerie, lesquels étaient inexistants au titre des années en cause.

DÉCISION DU CONSEIL D’ÉTAT

Le Conseil d’État annule l’arrêt de la CAA et renvoie les parties devant elle. Selon le juge de l’impôt, la CAA a commis une erreur de droit dès lors qu’elle a jugé d’office que l’application d’un taux nul constituait une libéralité, au seul motif qu’il était inférieur à ce qu’aurait pu octroyer un établissement financier à la société SAP France. Le CE considère en effet que la Cour aurait dû rechercher si la modification par les parties des conditions initiales du contrat, qui conduisait à l’application d’un taux négatif, et la substitution d’un taux alors nul (donc plus avantageux pour SAP France), traduisait tout de même un acte anormal de gestion pour la société.

NOTRE ANALYSE

UN TAUX NÉGATIF EST-IL POSSIBLE AU TITRE D’UNE CONVENTION DE TRÉSORERIE?

L’affaire porte sur la substitution du taux contractuel, qui compte tenu de l’évolution du marché conduisait à appliquer un taux négatif, par un taux à 0%. L’application d’un taux négatif aurait en effet conduit la société SAP France, en situation créditrice, à payer en outre des intérêts au titre du placement de ses fonds. La mécanique peut paraître absconse, alors même qu’elle reflète une situation de marché. La question de l’applicabilité de taux négatifs au titre des convention de trésorerie pose selon nous deux problématiques majeures: (i) en premier lieu, les convention de trésorerie sont des dispositifs propres aux groupes de sociétés, de sorte qu’il n’existe pas de comparable externe reflétant des conditions de marché (de pleine concurrence); (ii) le sujet confronte en outre deux visions antagonistes, fiscale d’une part, et économique, d’autre part. Un courant économique reconnaît en effet la possibilité pour le marché financier d’appliquer des taux négatifs interbancaires. Des décisions antérieures suggéraient également qu’en l’absence de clause spécifique mettant en œuvre un taux plancher, celui-ci ne saurait exister de manière implicite (voir par ex. TGI Strasbourg, 5 janvier 2016; CA Colmar, 8 mars 2017). Pour autant, une réflexion juridique holistique devrait selon nous conduire à considérer que des taux négatifs ne reflètent pas une gestion normale. D’abord, les prêts soumis au Code Monétaire et Financier emportent le fait que le prêteur agit à titre onéreux (art. L 313-1 Code mon. et fin.). L’activité d’établissement prêteur doit en effet générer un avantage économique. En outre, le statut commercial des sociétés parties à la transaction les invitent théoriquement à poursuivre un objectif de gain. Nous pensons donc qu’indépendamment de l’état du marché, l’application d’un taux négatif relève d’un acte anormal de gestion, à défaut pour les parties de renégocier les termes de leur accord.

QUELLES REFERENCE APPLIQUER?

Il est intéressant de noter que pour apprécier le taux réputé de pleine concurrence, la CAA avait validé la référence employée par le service au taux moyen de rémunération des dépôts à vue calculé par la Banque de France. Aucune référence n’est faite au taux visé à l’article 39-1-3 du CGI, auquel conduit l’application de l’article 212-I du même code. Selon nous, la raison tient au fait que les rectifications ont été placées sous le seul visa de l’article 57 du CGI, et non du 212-I. Il n’en demeure pas moins que selon nous, cet arrêt permet de déroger à l’application systématique du taux de l’article 39-1-3, dès lors qu’une convention de trésorerie dénote par sa nature et son caractère nécessairement liquide et court- termiste. Néanmoins, nous pensons qu’une référence plus adéquate réside dans le rendement des Sicav monétaires ou des parts de fonds communs de placement monétaires, utilisées pour placer des excédents de trésorerie ou des capitaux très liquides.

ATTENTION A LA QUALIFICATION DE L’OPÉRATION!

L’arrêt porte sur une convention de trésorerie, qui demeure un outil de financement particulier, propre aux groupes d’entreprises, et théoriquement liquide et disponible. Les groupes doivent cependant s’assurer que la répétition des flux dans la durée, et dans un sens unique, ne conduit pas à requalifier l’ensemble des opérations en prêts à plus long terme et à tirages successifs. Cette requalification entraînerait en effet nécessairement l’application d’un taux différent, car corrélé aux facteurs propres de l’opération (durée, devise, notation de crédit de l’emprunteur, etc), autant de paramètres qui ont été largement définis par la jurisprudence récente (voir par exemple CE, 29/12/21, 441357, Apex Tool).

Le renversement de la charge de la preuve en matière financière : assiste t-on à un retour de balancier ?

SITUATION DE DÉPART

La SAS Willink a émis deux emprunts obligataires convertibles en actions d’une durée de dix ans à un taux d’intérêt de 8 % l’an, souscrits par deux fonds communs de placement à risque français ainsi que par une société de droit britannique.

CONTRÔLE DE L’ADMINISTRATION

L’administration fiscale a remis en cause le caractère déductible des charges financières induites par cette opération à hauteur de la fraction des intérêts versés aux fonds et à la société anglaise, excédant le taux visé à l’article 39-I-3° du CGI. En outre, l’administration a estimé que les intérêts dus au titre du différentiel constituaient une libéralité au profit de la société britannique.
Pour justifier sa position, la société produit postérieurement une étude de taux au moyen du logiciel Riskcalc. Cette étude est fondée sur un modèle de calcul de la probabilité de défaut à court et long terme et y associe ensuite un scoring implicite. Une recherche de transactions comparables sur le marché libre a ensuite été effectuée au moyen de la base de données SetP Capital IQ.

DÉCISION DE LA CAA DE PARIS

Pour rejeter la démonstration apportée par la société, la CAA a écarté les résultats obtenus à partir de l’outil de scoring Riskcalc, en estimant qu’il s’agissait d’un modèle statistique basé sur des données quantitatives historiques de sociétés non représentatives du marché puisque les entreprises défaillantes y sont surreprésentées; qu’il ne prenait en compte qu’une dizaine de données financières renseignées par la société elle-même; et que rien ne permettait d’établir que la note de risque obtenue au moyen de cet outil prendrait en compte de manière adéquate tous les facteurs reconnus comme prévisionnels, et notamment les caractéristiques propres au secteur d’activité concerné.

DÉCISION DU CONSEIL D’ÉTAT

Le Conseil d’État estime que la Cour, qui a suivi l’administration fiscale, avait entaché son arrêt d’une erreur de droit en rejetant la valeur probante de l’outil Riskcalc utilisé et en privilégiant les agences de notations. En écartant la valeur probante de l’estimation de risque obtenue à partir de l’outil de scoring Riskcalc, sans rechercher si des éléments relatifs à l’utilisation de cet outil au cas d’espèce ou issus d’autres éléments de comparaison conduisaient à la remettre en cause, la cour a entaché son arrêt d’erreur de droit.

NOTRE ANALYSE

LA « PREUVE IMPOSSIBLE » A L’ÉPREUVE DE LA JURISPRUDENCE

L’article 212-I, qui conduit à l’application du taux de référence visé à l’article 39-1-3 du CGI, a déjà connu une nette inflexion sous l’impulsion du juge de l’impôt. Pour mémoire, lorsqu’un prêt est consenti par une entreprise liée, les intérêts sont déductibles dans la limite de ceux calculés d’après un taux défini à l’article 39-1-3° du CGI. Toutefois, l’entreprise emprunteuse bénéficie d’un mécanisme de preuve contraire : elle peut déduire des intérêts calculés d’après un taux supérieur si elle démontre que ce dernier correspond au taux qu’elle aurait pu obtenir d’établissements ou d’organismes financiers indépendants dans des conditions analogues (article 212-I-a du CGI). La lecture stricte des textes par l’administration avait conduit à une mécanique de « preuve impossible » selon les praticiens. Cependant, le juge de l’impôt a tempéré la rigidité induite par la pratique administrative en validant le fait que (i) les recherches alternatives de comparables pouvaient ne pas être contemporaines aux transactions financières (ex : TA Paris, 7 juin 2018, Paul Ka) ; les systèmes de notation de crédit employés sont réputés refléter suffisamment les éléments intrinsèques des marchés économiques concernés (ex : CE, 29 déc. 2021, Apex Tool) ; ou encore (iii) le taux peut être déterminé par référence au marché obligataire (avis du CE, 10 juil. 2019, SAS Wheelabrator Group).

COMMENT DÉFINIR LA NOTATION DE CRÉDIT (CREDIT RATING) ?

La détermination de la notation de crédit de l’emprunteur constitue la première étape de l’analyse, dans la mesure où cet indicateur révèle la solvabilité globale de l’entreprise. Sur ce point, le Conseil d’Etat reconnaît formellement que les notations obtenues à l’aide d’outils de type « RiskCalc » sont certes plus approximatives qu’une notation de crédit pouvant être effectuée par une agence de notation. Pour autant, il admet de manière pragmatique que « le recours à une telle notation n’a pas nécessairement vocation à s’appliquer, compte tenu de son coût, dans une opération intragroupe ». D’autre part, contrairement à ce qu’a jugé la CAA de Paris, cet outil tient bien compte du secteur d’activité de la société, qui doit être renseigné par l’utilisateur. En effet, les notations qui en sont issues, reposent sur des données issues de la comptabilité de l’entreprise, sans que cette dernière puisse modifier les paramètres utilisés par l’application. Au cas d’espèce, le ministre ne contestait d’ailleurs pas la robustesse globale. Aussi, la référence à un tel outil peut être regardée comme suffisamment fiable pour justifier du profil de risque d’une société. Le contribuable dispose donc bien de deux moyens pour établir sa notation de crédit : le recours à un outil informatique spécialisé (ex : RiskCalc), ou la référence directe à une agence de notation. Il est à noter d’ailleurs que l’usage de l’outil RiskCalc a déjà été validé à l’occasion de l’arrêt Studialis (CAA Paris, 22 oct. 2020).

UN REEQUILIBRAGE DE LA CHARGE DE LA PREUVE

La charge de la preuve induite par l’article 212-1 du CGI conduit bel à bien à un renversement dans le chef du contribuable. Cependant, le juge de l’impôt a progressivement repositionné l’administration dans le dispositif de la preuve, en lui faisant porter l’obligation de démontrer l’inexactitude de l’analyse réalisée par le contribuable. Ce faisant, le Conseil d’État pose les bases d’une valse en 3 temps :

A défaut d’appliquer le taux visé à l’article 39-1-3, le contribuable porte intégralement la charge de la preuve.

Celui-ci peut néanmoins procéder à des analyses économiques alternatives en s’appuyant sur des outils statistiques et digitaux spécialisés.

Ces analyses alternatives sont réputées fiables, sauf pour l’administration à démontrer que la démarche est viciée. Par exemple, l’administration peut produire des critiques circonstanciées sur l’usage fait au cas d’espèce de l’outil RiskCalc ou éléments permettant d’établir que l’évaluation qui en résulte était erronée au cas particulier. Elle peut également démontrer que la référence au marché obligataire ne constitue pas une référence viable lorsque de tels emprunts constituent, dans chaque hypothèse considérée, une alternative non réaliste à un prêt intragroupe classique.

Le CIR doit-il être neutralisé au tire des facturations de flux intragroupes ?

SITUATION DE DÉPART

La société STMicroelectronics exerce une activité de R&D dans le domaine des technologies liées aux
semi-conducteurs pour laquelle elle perçoit un crédit d’impôt recherche. Elle a conclu avec sa société- mère, la société STMicroelectronics NV, un contrat- cadre dit en vertu duquel STMicroelectronics réalise des opérations de R&D pour le compte de la société STMicroelectronics NV. Cette dernière définit le programme de recherche et est titulaire des droits de propriété intellectuelle résultant de ces opérations. Elle verse à la société STMicroelectronics une rémunération calculée par application d’un taux de marge de 7% aux coûts des opérations de R&D supportés par la société STMicroelectronics (Net Cost Plus), diminués du montant des crédits d’impôt recherche et des subventions publiques liées aux opérations de recherche qu’elle a reçus.

CONTRÔLE DE L’ADMINISTRATION

A la suite d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2012 et 2013, l’administration a estimé que la déduction des crédits d’impôt recherche et des subventions publiques de la base des coûts refacturés par la société STMicroelectronics induisait un transfert indirect de bénéfice à l’étranger, au sens de l’article 57 du code général des impôts. Elle a rehaussé les produits comptabilisés par la société à concurrence, de la réintégration du montant de ces subventions et du crédit d’impôt recherche dans le coût de revient retenu pour la détermination du prix de cession et lui a notifié des rehaussements des bases d’imposition à l’impôt sur les sociétés. Tirant les conséquences, pour la détermination de la valeur ajoutée de la société contrôlée, de la rectification des produits comptabilisés, l’administration a notifié à la société STMicroelectronics des rappels de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, de ses taxes additionnelles et frais de gestion pour les exercices clos en 2012 et 2013.

DÉCISION DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

Par un jugement n° 1907583 du 17 décembre 2020, le tribunal administratif de Montreuil a déchargé la société des suppléments de cotisation à l’impôt sur les sociétés ainsi que de contribution sociale et de contribution exceptionnelle sur cet impôt et des pénalités correspondantes. Cependant, la société estime que cet arrêt est entaché d’une erreur matérielle, et demande la décharge des suppléments de cotisation à l’impôt sur les sociétés ainsi que de contribution sociale et de contribution exceptionnelle à cet impôt et des pénalités correspondantes.

DÉCISION DE LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL

Le 16 août 2022, la Cour d’Appel annule l’arrêt rendu et prononce la décharge des impositions.

Le juge de l’impôt considère la déduction du CIR, opérée par une société française, pour la détermination du prix de cession du produit à facturer à une société étrangère qui lui est liée en application d’un contrat, ne saurait être considérée comme permettant, par elle- même de présumer l’existence d’un transfert de bénéfices à l’étranger, au sens de l’article 57 du code général des impôts.

NOTRE ANALYSE

AVANTAGE PAR NATURE VS AVANTAGE PAR COMPARAISON
Dans cette affaire, la Cour rappelle un des fondements de la dialectique de la preuve en matière de prix de transfert, consistant à appréhender de manière différente ce que le Commissaire du Gouvernement Emmanuel Glaser qualifiait d’avantages « par nature », par opposition aux avantages « par comparaison ». Les premiers sont faciles à percevoir, car ils ne sont compensés par aucune contrepartie directe, comme par exemple des prêts sans intérêts. Les seconds sont plus ténus, car ils requièrent une analyse économique (un benchmark) visant à identifier des références tierces, nécessairement, indépendantes, et placées dans des conditions similaires à celles entourant la transaction intragroupe objet des rectifications. Cette distinction a permis de donner lieu à un considérant repris quasi systématiquement par les juges en matière de prix de transfert, invitant l’administration, pour apporter une présomption de transfert indirect de bénéfice à l’étranger, selon lequel « à défaut d’avoir procédé à une telle comparaison, le service n’est, en revanche, pas fondé à invoquer la présomption de transfert de bénéfices ainsi instituée mais doit, pour démontrer qu’une entreprise a consenti une libéralité en facturant des prestations à un prix insuffisant, établir l’existence d’un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé ou du service rendu ».

Il est intéressant de noter ici que la Cour considère que l’avantage critiqué par l’administration est un avantage par comparaison, qui enjoignait donc le service à démontrer, par le biais d’une recherche de comparables, que des références tierces et indépendantes auraient (ou non) déduit de leur base de coûts sur laquelle repose la marge les montants du CIR et des autres subventions.

QUELLE DÉDUCTION?
En l’espèce, l’arrêt met en lumière le fait que la société avait déduit de sa base de coûts les montants du CIR, réduisant donc l’assiette sur laquelle repose la marge de 7%. Ce faisant, la société a appliqué la méthode transactionnelle de la marge nette, couplée à un indicateur de profit de type « Net Cost Plus ». Une alternative aurait pu consister à déduire le CIR non pas de la base de coûts, mais du montant total constitué de ce Net Cost Plus 7%. La décision aurait ainsi pu être différente, car le CIR vient justement compenser des coûts supportés. La démarche de la société permet ainsi de respecter la nature même du CIR, en considérant que son impact joue sur les coûts, et non pas la rentabilité totale de la société.

UNE PIERRE DE PLUS
La décision de la CAA de Paris permet d’ajouter une pierre au début de solution apportée par la décision de la CAA de Versailles du 11 octobre 2016, Sté Philips France (n°14VE02651). Dans cette ancienne affaire, le juge avait rejeté les prétentions de l’administration au motif que les comparables produits n’étaient pas indépendants. La preuve était donc par nature viciée. Devant le Conseil d’Etat, le Ministre était à nouveau débouté au motif qu’aucune analyse économique plus fondée n’avait été apportée (CE, 19 septembre 2018, n°405779). Il apparaissait cependant déjà donc que l’avantage réputé exister était un avantage par comparaison, et non par nature.

ATTENTION AUX CONTRATS!

Dans l’arrêt du Conseil d’Etat de 2018, le juge de l’impôt considérait « qu’alors même que l’accord entre les deux sociétés ne stipulerait pas expressément que le prix de revient pris comme base de calcul du prix de vente s’entendrait du coût effectivement supporté, net du montant des subventions, le ministre n’est pas fondé à soutenir que la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit ». Seule l’analyse comparative comptait alors. Il nous semble que cette démarche pourrait désormais être remise en cause, en raison notamment de la décision passée trop inaperçue SAP France Holding (CAA Marseille, 08 juillet 2021, n°20MA00804). Cette décision rappelle l’impérieuse nécessité de préciser, dans le contrat, les composantes exactes de la base de coûts sur laquelle repose la marge. Dans l’affaire SAP, le contrat prévoyait que tous les coûts devaient être refacturés. Inspirée, le service en avait déduit alors que la CVAE, qui est déduite du résultat de la société, devait donc faire partie des coûts refacturés au partenaire étranger.

Déduction des intérêts de prêts intragroupe, la fin de la saga ?

SITUATION DE DÉPART

La société WB Ambassador a souscrit auprès de sa société mère et d’une autre société du groupe, deux emprunts rémunérés à un taux annuel de 7%.
Les services fiscaux ont considéré ce taux excessif au regard des articles combinés 212-I et 39-1-3 du CGI et, par conséquent, ont proposé une rectification en réintégrant une fraction des intérêts supportés.

07 JUILLET 2017 : DÉCISION DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

Le TA de Paris, dans un arrêt du 07 juillet 2017, n°16007683 rejette la demande de la société WB Ambassador de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et le rétablissement du report en avant du déficit constaté le 1er janvier 2020.
Les juges font une appréciation stricte des dispositions de l’article 212-1 et des moyens de preuves que les contribuables peuvent apporter. Les trois études fournies par la société ont été rejetées faute de précisions et de détails. Ils confirment cependant que l’analyse justificative du contribuable n’a pas à être contemporaine de l’offre de prêt.

31 DÉCEMBRE 2018 : DÉCISION DE LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL

Le 31 décembre 2018, dans un arrêt n°17PA0318, la CAA de Paris confirme la décision du tribunal administratif et rejette l’appel formé par la société.
Selon les juges, la comparaison utilisée par la société n’est pas pertinente car elle se fonde « sur des comparables de taux issus de marchés financiers obligataires » et abonde dans le sens de la position de l’administration fiscale, en considérant que seule une offre de banque ou des références au marché de dettes sont acceptables au sens de l’article 212-I du CGI.

10 DÉCEMBRE 2020 : DÉCISION DU CONSEIL D’ÉTAT

Dans un arrêt du 10 décembre 2020, n°428522, le Conseil d’Etat, saisi d’un pouvoir formé par la société a annulé l’arrêt de la Cour Administrative d’Appel.
Selon le Conseil d’Etat, la cour a commis une erreur de droit en excluant la possibilité pour la société de justifier les taux en utilisant le rendement d’émissions obligataires consenti par des entreprises se trouvant dans des conditions comparables.
Le Conseil d’État poursuit, et son avis de 2019 « Wheelabrator », et le courant amorcé par la décision « Studialis », et valide le recours aux emprunts obligataires comme comparables.

29 JUIN 2022 : DÉCISION DE LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL

Le 29 juin dernière, la 2e chambre de la Cour d’Appel de Paris, sur renvoi du Conseil d’État, a annulé le jugement du Tribunal Administratif de Paris et a rétabli les déficits constatés par la société AB Ambassador.

NOTRE ANALYSE : Problème posé par l’arrêt

LA CONSÉCRATION DE LIBERTÉ DE PREUVE DU CONTRIBUABLE

La Cour d’Appel vient consacrer l’arrêt du 10 décembre 2020 du Conseil d’Etat, qui avait adopté une position favorable aux contribuables. En effet, cet arrêt confirme l’avis rendu un an plus tôt (CE 10 juillet 2019, n°429426, SAS Wheelabrator), en réaffirmant le principe de liberté de la preuve en matière de détermination du taux d’intérêt de prêts conclus entre sociétés d’un même groupe.
Désormais, l’administration fiscale et les juges doivent réellement débattre quant aux preuves apportées par le contribuable pour justifier du caractère normal et de pleine concurrence d’un taux d’intérêt intragroupe.
C’est dans le cadre de ce débat que la Cour Administrative d’Appel apprécie les preuves apportées par la société AB Ambassador et confirme que les taux d’intérêts pratiqués dans le cadre d’emprunts obligataires peut constituer une preuve du caractère de pleine concurrence du taux d’un prêt intragroupe, dès lors qu’il est avéré que ces ces emprunts constituent une alternative réaliste à un prêt intragroupe (donc à une référence au marché de la dette).
En l’espèce, les preuves apportées par la société étaient suffisamment élaborées pour justifier les taux pratiqués dans le cadre des prêts intragroupes pratiqués.

L’ÉPISODE FINAL DE LA SAGA WB AMBASSADOR, MAIS QUID DE LA SUITE?

L’arrêt du 29 juin 2022 vient clore cette saga WB Ambassador à l’origine, à la fois de nombreuses problématiques et interrogations, qui ont nourrit un fort mouvement jurisprudentiel sur les prêts intragroupes, mais aussi du débat sur la thématique de l’articulation des prix de transfert et de l’article 212-1 du Code Général des Impôts.
La Cour Administrative d’Appel vient préciser la nature et la mécanique de la preuve de la normalité du taux d’intérêt appliqué en cas de prêt intragroupe. Cette dernière participe de ce fait, de l’analyse inspirée par les fiches de Bercy sur les transactions financières intragroupes et par le courant jurisprudentiel formé des décisions Studialis, Wheelabrator, Appex Tool, ou encore BSA..
Néanmoins, si cette décision permet de clarifier les situations de prêts intragroupe, de nombreuses incertitudes demeurent quant à la démonstration du taux de pleine concurrence attaché à d’autres véhicules financiers, notamment le Cash Pool. La décision laisse également les actionnaires minoritaires toujours sujets au cloisonnement de l’article 212-I et l’application stricte du taux de l’article 39-1-3, comme le rappelait encore récemment la décision Trocadéro.
Enfin, bien que le contribuable peut désormais faire référence au marché obligataire, encore lui faut-il pouvoir démontrer qu’une telle référence constituait une alternative réaliste compte tenu de sa situation. Si la preuve qui repose sur lui a été (un peu) allégée, la justification d’un taux d’emprunt différent de celui visé à l’article 39-1-3 du CGI demeure encore une gageure pour les contribuables. , Les juges n’ont donc pas encore fini de nous livrer toutes les clefs des prix de transfert appliqués aux flux financiers.