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Prix de transfert : la preuve est -elle devenue impossible pour le contribuable ?

Article paru sur Fiscalonline

Compte tenu de sa dimension internationale et des phénomènes qu’elle cherche à appréhender, la matière des prix de transfert a toujours été évolutive. Elle n’aura cependant jamais connu autant de changements que depuis l’ère post-BEPS, sous l’effet de deux forces normalement complémentaires, mais parfois antinomiques, que sont les travaux ciblés de l’OCDE sur le plan international, et la jurisprudence sur le plan domestique. Sur ce point, ces quelques dernières années témoignent d’un activisme marqué de la part du juge de l’impôt, qui s’est montré particulièrement productif sur des sujets clés tels que l’application du principe de pleine concurrence dans la sphère des transactions financières ; l’appréhension empirique des profils fonctionnels ; ou la corrélation entre les coûts, les risques et la substance entre les parties. Une nouvelle étape a dorénavant été franchie en matière de charge de la preuve, avec l’arrêt Issey Miyake Europe rendu par la Cour administrative d’appel de Paris.

LES FAITS

Issey Miyake Europe, détenue au cours de la période vérifiée à plus de 99 % par la société de droit japonais Issey Miyake Inc, est le distributeur exclusif des produits de la marque éponyme. A ce titre, elle achète les produits auprès de la société mère japonaise, puis les revend d’une part en qualité de grossiste à des professionnels, et d’autre part en qualité de détaillant au travers de ses boutiques de luxe situées dans plusieurs villes européennes.
Afin d’évaluer la santé financière de la société au titre de ces deux rôles, l’administration a reconstitué des comptes de résultats segmentés, en allouant notamment certaines charges d’exploitation à ces deux canaux de vente au prorata du chiffre d’affaires. De là, elle a comparé la marge nette dégagée par la société sur ces deux activités avec la médiane de deux panels tirés de recherches de comparables distinctes. Selon l’administration, l’écart mesuré entre la médiane et la marge nette de la société tirée de son activité de détaillant a mis en lumière une présomption d’anormalité au profit de la société japonaise, que le service attribue aux coûts de maintien des boutiques. Compte tenu de leur localisation prestigieuse, le service a estimé en effet qu’elles offrent une vitrine à la renommée de la marque détenue juridiquement au Japon. Partant, l’administration a rejeté les déficits enregistrés par la société au titre de 5 exercices sur les 6 contrôlés.

LA PROCÉDURE

La société a fait valoir plusieurs arguments de nature selon elle à discréditer l’approche de l’administration, tant du point de vue de la charge de la preuve qui lui incombe, que des éléments factuels censés expliquer la volatilité de ses résultats. En première instance, le Tribunal administratif de Paris avait cependant déjà rejeté sa demande, confirmé encore une fois par la Cour administrative d’appel.

LA NOTION DE PRIX DE TRANSFERT EST DEVENUE OBSOLÈTE

Un premier enseignement tient au fait que le juge de l’impôt entérine désormais le fait que la matière dite « des prix de transfert » se désolidarise des prix, et finalement même des transferts.
En effet, la composante « prix » fait référence à une rémunération directe d’une opération individualisée. Le « transfert » quant à lui suggère une transaction économique, conduisant au passage de valeur et de propriété d’une partie à une autre. Or, au cas d’espèce, l’administration, suivie par le juge, a réduit les déficits de la société en raison des charges qu’elle a supportées et qui selon elle, contribuent à valoriser la marque détenue entre les mains de la mère japonaise. Ce n’est donc pas le prix des produits achetés auprès de la société mère qui est en cause, et qui d’ailleurs constitue l’unique transaction intragroupe liant les deux parties, mais bien l’équilibre financiers des deux parties et la répartition du profit entre elles, compte tenu de la combinaison des fonctions, risques et actifs qu’elles portent au sein de la chaîne de valeur.
Les prix de transfert se dégagent donc des « transactions » économiques, qui supposent une vente, pour désormais s’attacher aux « relations » économiques, qui s’exonèrent de tout transfert. Cette démarche, qui rompt avec des années de décisions antérieures, consacre une dynamique qui transparaissait en réalité déjà entre les lignes des travaux de l’OCDE et des propositions de rectifications. Elle rapproche encore un peu plus la matière de la théorie prétorienne de l’acte anormal de gestion, qui conduit à analyser une opération de manière holistique, sans désormais avoir à qualifier précisément l’anomalie présumée. Il est d’ailleurs intéressant de noter que sans changer la politique tarifaire entre les sociétés, Issey Miyake Europe avait fini par dégager des résultats profitables sur deux des exercices contrôlés. Cette circonstance n’a pour autant pas convaincu la Cour, qui considère que « les marges d’exploitation positives des exercices bénéficiaires étant largement insuffisantes pour combler les pertes des autres exercices, alors que l’entreprise n’était pas en phase de démarrage » (considérant 5). Ce n’est donc pas tant le flux, mais la situation d’ensemble qui dorénavant est scrutée au titre du dispositif de l’article 57 du CGI.
Il faut aussi en déduire que les situations où une société liée française dégageant des profits faibles ou des pertes récurrentes dans un environnement de groupe seront plus facilement rectifiées désormais, même si individuellement les transactions intragroupes semblent correctement rémunérées, si ces pertes découlent d’un positionnement dans la chaîne de valeur déséquilibré au détriment de la société française.

LA CONSÉCRATION DE LA MÉTHODE DE LA MARGE NETTE

De manière concomitante à ce qui précède, cette décision vient aussi confirmer la prévalence de la méthode transactionnelle de la marge nette sur toutes les autres méthodes. En l’espèce, l’administration a comparé la marge nette reconstituée de la société au titre de son activité de détaillant avec celle dégagée par un panel de comparables. Or, seuls les achats de marchandises concentrent la transaction économique liant Issey Miyake Europe à sa mère japonaise. Le gros des charges d’exploitation est donc composé de dépenses qui ne correspondent pas à une transaction économique clairement désignée entre ces deux parties.
Depuis longtemps l’administration a fait de la méthode transactionnelle de la marge nette sa méthode de prédilection. Cette préférence s’expliquait aisément par la plus grande souplesse qu’elle offre dans la quête de comparables, mais aussi, admettons-le, par le fait qu’en se concentrant sur un agrégat proche du résultat fiscal, elle assurait potentiellement une plus grande certitude de rappel d’impôt. Pendant longtemps, le juge de l’impôt se désolidarisait de cette démarche, en considérant que l’analyse d’une marge nette dilue trop largement la, ou les transactions intragroupes, renvoyant donc l’administration à la nécessité de démontrer que les pertes reprochées sont directement attribuables à des prix d’achat trop élevés, ou des ventes minorées, et non à une gestion dépensière des frais fixes par exemple. Les récentes décisions en la matière avaient cependant déjà amorcé ce revirement, qui en trouve une nouvelle manifestation dans la décision de la Cour administrative d’appel de Paris. Pour la Cour, la responsabilité revient au contribuable et sa gestion du contradictoire, et indique « qu’il ne résulte pas de l’instruction que celle-ci aurait disposé d’informations suffisantes, internes au groupe, en matière de prix de transfert lui permettant de retenir une méthode fondée sur les transactions » (considérant 11).
Désormais, il faut composer avec le fait que les prix de transfert ne rémunèrent plus une transaction, mais un profil fonctionnel. La méthode transactionnelle de la marge nette devra donc à tout le moins être utilisée à titre corroboratif dans le cadre d’une analyse économique.

LE BEPS N’A PAS ENCORE TOTALEMENT IRRIGUE LA DÉMARCHE DE L’ADMINISTRATION

Il est intéressant de noter néanmoins que ni l’administration, ni le juge de l’impôt, n’ont abordé l’attribution économique de la marque sous l’angle des fonctions dites «DEMPE » suggérées par l’OCDE. A l’inverse, tous deux se sont fondés sans autre forme d’analyse sur la détention juridique de la marque par la société japonaise. Or, au cas d’espèce, l’instruction ne fait pas référence à une redevance de marque facturée à la filiale française. Du point de vue économique, celle-ci n’est donc pas reconnue comme étant distinctement concentrée entre les mains de la mère japonaise, alors même que sa forte valeur est indiscutablement reconnue. Un angle de défense pourrait donc consister désormais à tenter d’allouer une part de la détention économique de la marque à Issey Miyake Europe, compte tenu de son exploitation et de sa contribution à sa renommée, ce qui corrélativement justifierait qu’elle puisse supporter une portion des coûts qui en découlent.
Ceci montre aussi que notre droit prétorien n’est pas encore prêt à verser totalement dans les concepts très libéraux de Common Law, et particulièrement la préférence à la propriété économique sur la propriété juridique des actifs incorporels de valeur. Dans cette affaire, la solution peut se résumer au seul fait que la société française a supporté des coûts pour le compte d’un tiers, et rappelle de manière simpliste des cas d’acte anormal de gestion par nature.

UNE PAUPÉRISATION DES ANALYSES ECONOMIQUES ?

Pour faire présumer l’avantage concédé à la société japonaise, l’administration a réalisé une recherche de comparables ayant permis de capturer 7 sociétés engagées dans la vente au détail de vêtements. Il ressort de la lecture de la décision que ces références n’étaient cependant pas engagées sur le secteur du luxe. Il semblerait au contraire que ces comparables aient pu être multimarques, positionnés sur des gammes différentes, ou sujets à des volumétries de ventes plus faibles. Autant de critères qui, si l’on s’en tient aux facteurs de comparabilités suggérés par l’OCDE, sont autant d’éléments différenciant venant affecter la comparabilité et donc, la fiabilité de ces sociétés et des résultats qu’elles produisent au titre de l’étude de leurs marges.
Pour autant, le juge valide ce panel, au motif que la méthode de marge transactionnelle de la marge nette s’exonèrerait de ces différences pourtant fondamentales. En ce sens la Cour indique « la méthode transactionnelle de la marge nette vise à comparer, à la différence des méthodes fondées sur les prix, qui nécessitent une similarité des produits vendus, les résultats issus de transactions contrôlées avec ceux de sociétés tierces exerçant des fonctions et assumant des risques comparables » (considérant n°12). Ce faisant, tout le travail de démonstration qui pourtant, devrait reposer sur le service, est renversé sur le contribuable. On lit en effet que « Issey Miyake Europe, qui ne propose d’ailleurs aucun ajustement relatif à l’impact des charges spécifiques dont elle se prévaut, et qui ne contribueraient pas à la valorisation de la marque, fait valoir qu’elle n’a elle-même pas été en mesure d’identifier des sociétés françaises indépendantes distribuant des vêtements de prêt-à-porter de luxe ».
Là encore, cette décision rompt avec des arrêts antérieurs, qui ont longtemps discrédité les rectifications opérées par l’administration dès lors que celle-ci n’était pas en mesure d’identifier des comparables pertinents. Désormais, il suffira à l’administration de s’appuyer sur une méthode de marge nette et de simplement capter des sociétés indépendantes, engagées dans une grande typologie d’activité (distribution, fabrication, prestation de service), sans plus avoir à appliquer des ajustements afin de parfaire la comparabilité.

LA CONSÉCRATION DE LA MÉDIANE

Enfin, cette décision met un terme à un débat que l’affaire GE Healthcare avait laissé pendant, et qui avait semble-t-il ouvert la voie pour le service à rectifier systématiquement les marges à hauteur de la médiane de l’intervalle. La lecture de cette précédente décision suggérait cependant que cette tendance assumée de l’administration relevait d’une mauvaise interprétation de l’arrêt de 2018. Le doute n’est désormais plus permis, et il incombe au contribuable d’apporter tout élément permettant d’apprécier l’irrecevabilité automatique de la médiane, pour y préférer un point dans l’intervalle plus adapté.
On lit en ce sens que la société Issey Miyake Europe « ne fait état d’aucune circonstance spécifique justifiant de s’écarter de la médiane, alors que l’administration n’a elle-même pas constaté de telles circonstances au regard des faits et des caractéristiques propres de la société Issey Miyake Europe » (considérant 13). Là encore, on peut déplorer que la charge de la preuve ait été renversée sur le contribuable, dont on pourrait pourtant penser qu’il détient moins d’informations sur l’état du marché, ou de ses concurrents, lui permettant de cibler un point dans l’intervalle davantage fidèle à sa situation.

EN BREF…

Cette décision rigidifie clairement les efforts pesant sur le contribuable pour se défendre contre les rectifications opérées désormais en matière de prix de transfert. Elle rompt avec une longue tradition jurisprudentielle précédente, et semble accompagner la dynamique post-BEPS qui milite pour le renforcement des moyens offerts aux administrations fiscales pour analyser et rectifier les transactions intragroupes. Plus spécifiquement, cet arrêt met en lumière les éléments suivants :

  1. CAA Paris, 2ème ch. 29 juin 2022, n° 20PA03807.
  2. TA Paris, 7 oct. 2020, n° 1806236/1-3.

Déduction des intérêts de prêts intragroupe, la fin de la saga ?

CAA PARIS, 2ÈME CH., 29 JUIN 2022, 20PA03996 WB AMBASSADOR

NOTRE ANALYSE

Problème posé par l’arrêt

LA CONSÉCRATION DE LIBERTÉ DE PREUVE DU CONTRIBUABLE

La Cour d’Appel vient consacrer l’arrêt du 10 décembre 2020 du Conseil d’Etat, qui avait adopté une position favorable aux contribuables. En effet, cet arrêt confirme l’avis rendu un an plus tôt (CE 10 juillet 2019, n°429426, SAS Wheelabrator), en réaffirmant le principe de liberté de la preuve en matière de détermination du taux d’intérêt de prêts conclus entre sociétés d’un même groupe.
Désormais, l’administration fiscale et les juges doivent réellement débattre quant aux preuves apportées par le contribuable pour justifier du caractère normal et de pleine concurrence d’un taux d’intérêt intragroupe. C’est dans le cadre de ce débat que la Cour Administrative d’Appel apprécie les preuves apportées par la société AB Ambassador et confirme que les taux d’intérêts pratiqués dans le cadre d’emprunts obligataires peut constituer une preuve du caractère de pleine concurrence du taux d’un prêt intragroupe, dès lors qu’il est avéré que ces ces emprunts constituent une alternative réaliste à un prêt intragroupe (donc à une référence au marché de la dette). En l’espèce, les preuves apportées par la société étaient suffisamment élaborées pour justifier les taux pratiqués dans le cadre des prêts intragroupes pratiqués.

L’ÉPISODE FINAL DE LA SAGA WB AMBASSADOR, MAIS QUID DE LA SUITE?

L’arrêt du 29 juin 2022 vient clore cette saga WB Ambassador à l’origine, à la fois de nombreuses problématiques et interrogations, qui ont nourrit un fort mouvement jurisprudentiel sur les prêts intragroupes, mais aussi du débat sur la thématique de l’articulation des prix de transfert et de l’article 212-1 du Code Général des Impôts. La Cour Administrative d’Appel vient préciser la nature et la mécanique de la preuve de la normalité du taux d’intérêt appliqué en cas de prêt intragroupe. Cette dernière participe de ce fait, de l’analyse inspirée par les fiches de Bercy sur les transactions financières intragroupes et par le courant jurisprudentiel formé des décisions Studialis, Wheelabrator, Appex Tool, ou encore BSA.
Néanmoins, si cette décision permet de clarifier les situations de prêts intragroupe, de nombreuses incertitudes demeurent quant à la démonstration du taux de pleine concurrence attaché à d’autres véhicules financiers, notamment le Cash Pool. La décision laisse également les actionnaires minoritaires toujours sujets au cloisonnement de l’article 212-I et l’application stricte du taux de l’article 39-1-3, comme le rappelait encore récemment la décision Trocadéro. Enfin, bien que le contribuable peut désormais faire référence au marché obligataire, encore lui faut-il pouvoir démontrer qu’une telle référence constituait une alternative réaliste compte tenu de sa situation. Si la preuve qui repose sur lui a été (un peu) allégée, la justification d’un taux d’emprunt différent de celui visé à l’article 39-1-3 du CGI demeure encore une gageure pour les contribuables. Les juges n’ont donc pas encore fini de nous livrer toutes les clefs des prix de transfert appliqués aux flux financiers.

Le CIR doit-il être neutralisé au titre des facturations de flux intragroupes ?

CAA PARIS, 9EME CHAMBRE, 29 JUIN 2022, 21PA00668 SAS MICROELECTRONICS GRAND OUEST

NOTRE ANALYSE

AVANTAGE PAR NATURE VS AVANTAGE PAR COMPARAISON

Dans cette affaire, la Cour rappelle un des fondements de la dialectique de la preuve en matière de prix de transfert, consistant à appréhender de manière différente ce que le Commissaire du Gouvernement Emmanuel Glaser qualifiait d’avantages « par nature », par opposition aux avantages « par comparaison ». Les premiers sont faciles à percevoir, car ils ne sont compensés par aucune contrepartie directe, comme par exemple des prêts sans intérêts. Les seconds sont plus ténus, car ils requièrent une analyse économique (un benchmark) visant à identifier des références tierces, nécessairement, indépendantes, et placées dans des conditions similaires à celles entourant la transaction intragroupe objet des rectifications. Cette distinction a permis de donner lieu à un considérant repris quasi systématiquement par les juges en matière de prix de transfert, invitant l’administration, pour apporter une présomption de transfert indirect de bénéfice à l’étranger, selon lequel « à défaut d’avoir procédé à une telle comparaison, le service n’est, en revanche, pas fondé à invoquer la présomption de transfert de bénéfices ainsi instituée mais doit, pour démontrer qu’une entreprise a consenti une libéralité en facturant des prestations à un prix insuffisant, établir l’existence d’un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé ou du service rendu ».
Il est intéressant de noter ici que la Cour considère que l’avantage critiqué par l’administration est un avantage par comparaison, qui enjoignait donc le service à démontrer, par le biais d’une recherche de comparables, que des références tierces et indépendantes auraient (ou non) déduit de leur base de coûts sur laquelle repose la marge les montants du CIR et des autres subventions.

QUELLE DÉDUCTION?

En l’espèce, l’arrêt met en lumière le fait que la société avait déduit de sa base de coûtsles montantsdu CIR, réduisant donc l’assiette sur laquelle repose la marge de 7%. Ce faisant, la société a appliqué la méthode transactionnelle de la marge nette, couplée à un indicateur de profit de type « Net Cost Plus ». Une alternative aurait pu consister à déduire le CIR non pas de la base de coûts, mais du montant total constitué de ce Net Cost Plus 7%. La décision aurait ainsi pu être différente, car le CIR vient justement compenser des coûts supportés. La démarche de la société permet ainsi de respecter la nature même du CIR, en considérant que son impact joue sur les coûts, et non pas la rentabilité totale de la société.

UNE PIERRE DE PLUS

La décision de la CAA de Paris permet d’ajouter une pierre au début de solution apportée par la décision de la CAA de Versailles du 11 octobre 2016, Sté Philips France (n°14VE02651). Dans cette ancienne affaire, le juge avait rejeté les prétentions de l’administration au motif que les comparables produits n’étaient pas indépendants. La preuve était donc par nature viciée. Devant le Conseil d’Etat, le Ministre était à nouveau débouté au motif qu’aucune analyse économique plus fondée n’avait été apportée (CE, 19 septembre 2018, n°405779). Il apparaissait cependant déjà donc que l’avantage réputé exister était un avantage par comparaison, et non par nature.

ATTENTION AUX CONTRATS!

Dans l’arrêt du Conseil d’Etat de 2018, le juge de l’impôt considérait « qu’alors même que l’accord entre les deux sociétés ne stipulerait pas expressément que le prix de revient pris comme base de calcul du prix de vente s’entendrait du coût effectivement supporté, net du montant des subventions, le ministre n’est pas fondé à soutenir que la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit ». Seule l’analyse comparative comptait alors. Il nous semble que cette démarche pourrait désormais être remise en cause, en raison notamment de la décision passée trop inaperçue SAP France Holding (CAA Marseille, 08 juillet 2021, n°20MA00804). Cette décision rappelle l’impérieuse nécessité de préciser, dans le contrat, les composantes exactes de la base de coûts sur laquelle repose la marge. Dans l’affaire SAP, le contrat prévoyait que tous les coûts devaient être refacturés. Inspirée, le service en avait déduit alors que la CVAE, qui est déduite du résultat de la société, devait donc faire partie des coûts refacturés au partenaire étranger.

La preuve est-elle devenue impossible pour le contribuable ?

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE PARIS, 2EME CHAMBRE, 29 JUIN 2022

NOTRE ANALYSE

LA NOTION DE PRIX DE TRANSFERT EST DEVENUE OBSOLÈTE

Au cas d’espèce, l’administration, suivie par le juge, a réduit les déficits de la société en raison des charges qu’elle a supportées et qui selon elle, contribuent à valoriser la marque détenue entre les mains de la mère japonaise.
Les prix de transfert se dégagent donc des « transactions » économiques, qui supposent une vente, pour désormais s’attacher aux « relations » économiques, qui s’exonèrent de tout transfert. Cette démarche, qui rompt avec des années de décisions antérieures, consacre une dynamique qui transparaissait en réalité déjà entre les lignes des travaux de l’OCDE et des propositions de rectifications. Elle rapproche encore un peu plus la matière de la théorie prétorienne de l’acte anormal de gestion, qui conduit à analyser une opération de manière holistique, sans désormais avoir à qualifier précisément l’anomalie présumée. Ce n’est donc pas tant le flux, mais la situation d’ensemble qui
dorénavant est scrutée au titre du dispositif de l’article 57 du CGI.

LA CONSÉCRATION DE LA MÉTHODE DE LA MARGE NETTE

En l’espèce, l’administration a comparé la marge nette reconstituée de la société au titre de son activité de détaillant avec celle dégagée par un panel de comparables. Or, seuls les achats de marchandises concentrent la transaction économique liant Issey Miyake Europe à sa mère japonaise. Le gros des charges d’exploitation est donc composé de dépenses qui ne correspondent pas à une transaction économique clairement désignée entre ces deux parties.
Depuis longtemps l’administration a fait de la méthode transactionnelle de la marge nette sa méthode de prédilection. Cette préférence s’expliquait aisément par la plus grande souplesse qu’elle offre dans la quête de comparables, mais aussi, admettons-le, par le fait qu’en se concentrant sur un agrégat proche du résultat fiscal, elle assurait potentiellement une plus grande certitude de rappel d’impôt. Pendant longtemps, le juge de l’impôt se désolidarisait de cette démarche, en considérant que l’analyse d’une marge nette dilue trop largement la, ou les transactions intragroupes, renvoyant donc l’administration à la nécessité de démontrer que les pertes reprochées sont directement attribuables à des prix d’achat trop élevés, ou des ventes minorées, et non à une gestion dépensière des frais fixes par exemple. Les récentes décisions en la matière avaient cependant déjà amorcé ce revirement, qui en trouve une nouvelle manifestation dans la décision de la Cour administrative d’appel de Paris. Pour la Cour, la responsabilité revient au contribuable et sa gestion du contradictoire, et indique « qu’il ne résulte pas de l’instruction que celle-ci aurait disposé d’informations suffisantes, internes au groupe, en matière de prix de transfert lui permettant de retenir une méthode fondée sur les transactions » (considérant 11).

UNE PAUPÉRISATION DES ANALYSES ECONOMIQUES ?

Pour faire présumer l’avantage concédé à la société japonaise, l’administration a réalisé une recherche de comparables ayant permis de capturer 7 sociétés engagées dans la vente au détail de vêtements. Il semblerait que ces comparables n’étaient pas engagées sur le secteur du luxe et qu’ils aient pu être multimarques, positionnés sur des gammes différentes, ou sujets à des volumétries de ventes plus faibles. Autant de critères qui, si l’on s’en tient aux facteurs de comparabilités suggérés par l’OCDE, sont autant d’éléments différenciant venant affecter la comparabilité et donc, la fiabilité de ces sociétés et des résultats qu’elles produisent au titre de l’étude de leurs marges.
Pour autant, le juge valide ce panel, au motif que la méthode de marge transactionnelle de la marge nette s’exonèrerait de ces différences pourtant fondamentales. Ce faisant, tout le travail de démonstration qui pourtant, devrait reposer sur le service, est renversé sur le contribuable. On lit en effet que « Issey Miyake Europe, qui ne propose d’ailleurs aucun ajustement relatif à l’impact des charges spécifiques dont elle se prévaut, et qui ne contribueraient pas à la valorisation de la marque, fait valoir qu’elle n’a elle-même pas été en mesure d’identifier des sociétés françaises indépendantes distribuant des vêtements de prêt-à-porter de luxe ».
Cette décision rompt avec des arrêts antérieurs, qui ont longtemps discrédité les rectifications opérées par l’administration dès lors que celle-ci n’était pas en mesure d’identifier des comparables pertinents. Désormais, il suffira à l’administration de s’appuyer sur une méthode de marge nette et de simplement capter des sociétés indépendantes, engagées dans une grande typologie d’activité (distribution, fabrication, prestation de service), sans plus avoir à appliquer des ajustements afin de parfaire la comparabilité.

LA CONSÉCRATION DE LA MÉDIANE

Enfin, cette décision met un terme à un débat que l’affaire GE Healthcare avait laissé pendant, et qui avait semble-t-il ouvert la voie pour le service à rectifier systématiquement les marges à hauteur de la médiane de l’intervalle. La lecture de cette précédente décision suggérait cependant que cette tendance assumée de l’administration relevait d’une mauvaise interprétation de l’arrêt de 2018. Le doute n’est désormais plus permis, et il incombe au contribuable d’apporter tout élément permettant d’apprécier l’irrecevabilité automatique de la médiane, pour y préférer un point dans l’intervalle plus adapté.
Là encore, on peut déplorer que la charge de la preuve ait été renversée sur le contribuable, dont on pourrait pourtant penser qu’il détient moins d’informations sur l’état du marché, ou de ses concurrents, lui permettant de cibler un point dans l’intervalle davantage fidèle à sa situation.

Le succès ne vaut que s’il est partagé

Notre associé fondateur Terence WILHELM s’est vu décerner par le Barreau de Lyon le prix de « La Meilleure Action Solidaire réalisée par un Avocat », lors de la cérémonie tenue au sein de la magnifique auberge Paul Bocuse. Cette distinction vient consacrer les actions entreprises auprès de diverses associations dédiées à l’enfance, telles que Rêves et l’Enfant Bleu. Le Barreau a été sensible à la démarche de notre associé, qui non seulement participe au fonctionnement interne de ces associations en versant une partie des résultats du cabinet, mais aussi invite les enfants lors des matchs de notre partenaire le LOU Rugby, et leur offre un moment privilégié avec les joueurs pour des séances photos et d’autographes.
Lors de la cérémonie, notre associé expliquait : « Ce sport, plus que tout autre, est un formidable vecteur de valeurs. Pendant 80 minutes, les joueurs nous offrent un exemple de combativité, de résilience, de courage, de solidarité, qui sont autant d’éléments que ces jeunes enfants doivent intégrer dans leur quotidien. Après chaque match, les joueurs du LOU se prêtent toujours facilement et volontairement au jeu. Ce sont eux qu’il faudrait célébrer, tant ils prennent le temps et inspirent courage aux enfants. Systématiquement, ces derniers repartent avec un énorme sourire (et des cadeaux que nous leur offrons !), et de quoi être plus fort pour affronter les maux qui les tourmentent, que ce soit la maladie ou la violence ».
Sur un autre plan, le Barreau relevait également les dons aux Restos du Cœur à l’approche de Noël. « C’est une autre démarche bien sûr, mais je ne peux me résoudre à voir un gamin dans la détresse. Alors tous les ans, je charge la voiture avec mon fils de jouets neufs, des livres et des denrées, que je viens déposer au Resto du Cœur pour que des enfants puissent au moins passer de belles fêtes ».
Interrogé par le Bâtonnier quant à sa vision du métier d’avocat, Terence WILHELM répond : « le succès ne vaut que s’il est partagé. J’ai fondé CARA à partir de la volonté de créer un cabinet qui soit à la fois « beau et bon ». Ceci implique bien sûr d’être toujours à la pointe de la technique, mais aussi de transmettre notre savoir, nos valeurs, le fruit de notre réussite à nos équipes et la communauté qui nous entoure. Nous le devons en tant qu’avocat mais aussi en tant que chefs d’entreprises ». La patte du fiscaliste n’est cependant jamais bien loin, et il termine sur une boutade « et puis comme vous le savez je suis avocat fiscaliste ; dépenser pour une bonne cause c’est toujours ça de moins pour le fisc ».

Classement Legal 100

Pour la seconde année consécutive, le cabinet CARA Société d’Avocats s’est vu décerner le prix du meilleur cabinet dans la catégorie « prix de transfert » par le prestigieux classement international Legal 100.

Ce classement recense les meilleurs cabinets et structures dans la plupart des pays du monde, répartis par matière, et célèbre ainsi les équipes dont l’excellence opérationnelle, la réussite, la croissance et le traitement des dossiers ont été plébiscités par les clients et un panel de praticiens.

Cette nouvelle récompense vient confirmer notre excellence dans la discipline des prix de transfert et de la fiscalité internationale, et consacre notre stratégie disruptive à 360 degrés dans cette matière, à contre-courant des offres de services de nos concurrents. Le cabinet tient particulièrement à remercier ses clients et partenaires qui ont été sollicités par l’organisme et qui ont répondu aux sondages nous ayant permis de nous distinguer.

CARA AVOCATS est fier de sponsoriser les Gazelles Lyonnaises

Le cabinet CARA AVOCATS est fier de sponsoriser les Gazelles Lyonnaises, l’équipage formé de Déborah PAUGET et Alexandra CROZIER qui concoure à l’édition 2022 du RALLYE AÏCHA DES GAZELLES.

Nous avions été touchés par l’ambition de nos deux pilotes et leur volonté de vivre une aventure hors norme, que les évènements avaient malheureusement repoussé deux années de suite. En nous associant à d’autres partenaires, le cabinet a pu les aider à financer leur véhicule, le voyage et le matériel nécessaire pour participer à cette fantastique aventure qui promeut des valeurs que nous avons en commun : le dépassement de soi, la solidarité, et la reconnaissance de la place des femmes dans notre monde moderne.

Le Rallye Aïcha des Gazelles du Maroc est le seul Rallye-Raid hors-piste 100% féminin au monde certifié norme ISO 14001:2015. Unique en son genre et depuis 1990, il rassemble chaque année des femmes de 18 à 71 ans et de nationalités différentes dans le désert Marocain.

Comme CARA AVOCATS, le Rallye Aïcha des Gazelles prend à contrepied des standards bien établis : depuis sa création, l’évènement développe une autre vision de la compétition automobile : pas de vitesse, pas de GPS mais une navigation à l’ancienne, uniquement en hors-piste pour un retour aux sources de l’Aventure.

Nous souhaitons bonne chance à nos deux Gazelles Lyonnaises et les remercions de porter notre marque sur leur véhicule autant que nos valeurs.

Le fond et la forme en prix de transfert : sur quel pied danser ?

Les confinements successifs et l’ennui qu’ils ont semble-t-il pu générer dans certains foyers ont conduit à l’émergence de défis, parfois invraisemblables, souvent absurdes, largement relayés par les réseaux sociaux. Au rang de ceux-ci, le « Nana Challenge », consistant à exécuter une sorte de gigue en sautillant alternativement sur les deux pieds pour contrer les mouvements opposés de son partenaire. Si l’on peut largement présumer que cette gesticulation rejoindra bien vite le panthéon des danses inutiles, sitôt les corps déconfinés et les esprits recouvrés, l’administration fiscale elle, semble bien décidée à continuer à danser sur deux pieds, en faisant prévaloir dans plusieurs affaires fiscales tantôt la forme, tantôt le fond.
Il en est ainsi des cas où, au titre d’une transaction intragroupe, le contrat signé mentionne une rémunération ne reflétant pas le comportement réel des parties liées. Il se peut par exemple que la convention intègre une rémunération exprimée en pourcentage (rapportée sur les ventes ou sur les coûts), dont le quantum ne reflète manifestement pas des standards de pleine concurrence que des analyses économiques contemporaines auraient mis en lumière. Selon le sens du paiement (que le contribuable français soit créancier ou débiteur de la transaction), le Trésor peut ainsi s’en trouver lésé, ou au contraire en tirer profit.

Un contrat en décalage par rapport au principe de pleine concurrence

Pour illustrer cette situation, prenons l’exemple d’un prestataire de services administratifs situé en France et rendant ses services à une partie liée établie à l’étranger. Un ancien contrat établi entre elles fait mention d’une rémunération définie selon la méthode du coût majoré telle que décrite par les principes directeurs de l’OCDE, visant à couvrir une assiette de coûts augmentée d’une marge de 15%. Pour rendre le cas plus cocasse encore, précisons que le contrat résulte manifestement d’une traduction parfois approximative d’une version existante par ailleurs dans le groupe (sans doute passée entre deux autres entités à l’étranger) et date du début des années 2000, c’est-à-dire antérieurement aux concepts modernes développés par l’OCDE en matière de prix de transfert ; aux obligations documentaires et déclaratives telles qu’on les pratique aujourd’hui ; et aux travaux du Forum Conjoint Européen. Conscientes des travaux de ces organismes et mues par la volonté de bien faire, les parties ont décidé d’appliquer une marge non pas de 15%, mais de 5%, au motif que les prestations rendues s’inscrivent dans la catégorie des « services intra-groupe à faible valeur ajoutée ».
Le Forum Conjoint Européen suggère en effet depuis 2010 qu’une mesure de pleine concurrence pour de tels services pourrait s’établir « entre 3% et 10%, avec une médiane à 5% ». Plus d’une décennie plus tard l’OCDE lui a emboité le pas, en considérant que « Pour déterminer la tarification de pleine concurrence de services intra-groupe à faible valeur ajoutée, le membre du groupe multinational qui fournit ces services doit appliquer une marge bénéficiaire à tous les coûts reportés dans le groupe de coûts. La même marge doit être utilisée pour tous les services à faible valeur ajoutée, quelles que soient les catégories concernées. La marge retenue par le contribuable ne devrait pas être inférieure à 2 % du coût concerné, ni supérieure à 5 % de ce même coût ».

L’affaire pourrait sembler entendue et les parties, confortées par les travaux d’instances internationales prolixes, pourraient naïvement penser avoir atteint la sérénité fiscale. Mais aussi sûrement que l’enfer est pavé de bonnes intentions, cette posture peut selon les cas de figure, être renversée par l’administration à l’occasion d’une vérification de comptabilité.
Posons ici un premier cas de figure. Si le prestataire est un contribuable français, l’administration fiscale, tout empreinte de sa célérité juridique, serait tentée de s’appuyer sur des concepts cardinaux du droit des contrats. Elle serait à même alors d’opposer que ceux-ci « tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ». A cette occasion, l’administration serait certainement en droit de réclamer le différentiel entre la marge réellement pratiquée (5%) et celle figurant au contrat (15%), en plus bien sûr de pratiquer une retenue à la source sur les revenus réputés distribués ; des pénalités pour manquement délibéré de 40% en raison de la libéralité consentie ; et toute la cascade d’impôts et taxes dont l’assiette est assise sur des agrégats communs, maquillant d’ailleurs – rappelons-le – une double voir triple imposition des mêmes bénéfices.

La force obligatoire du contrat ou la prévalence de la forme

Cette posture découle de la théorie de la force obligatoire du contrat, en vertu de laquelle une convention légalement formée crée des obligations dans le chef des parties, qui doivent alors s’y tenir scrupuleusement. Il s’agit d’un concept civiliste ancien, cher aux Etats de droit écrit, et qui irrigue tout notre corpus de droit privé.

Ainsi nous aurait-on menti ? L’autonomie du droit fiscal n’aurait donc été qu’une chimère vendue sur les bancs des facultés de droit pour flatter l’égo des apprentis fiscalistes et vanter leur singularité ? Du panthéon duquel il nous observe, le très regretté Professeur Maurice Cozian objecterait sans doute que sans être autonome, le droit fiscal n’en reste pas moins particulier. Certes ses ressorts sont empreints d’économie et en cela, il diffère des autres thématiques. Il ne saurait cependant se désolidariser des autres branches du droit et plus particulièrement, du droit des obligations, qui constitue le canevas de toute relation entre personnes privées ; pas plus d’ailleurs qu’il ne se détache du droit public, qui régit les relations entre les individus et les émanations de la force publique, dont l’administration fiscale est une des composantes.
On pourrait certes toujours arguer que des parties liées ne pratiqueraient très certainement pas (ou plus) des taux de marge à 15% pour rémunérer des services administratifs. Pour corroborer ce point, le contribuable pourrait alors s’évertuer à produire des recherches de comparables assises sur des bases de données spécialisées. Cette démonstration nous semble néanmoins discutable. En effet, rappelons que l’article 57 du Code général des impôts, sous le visa duquel les rectifications en matière de prix de transfert sont notifiées, prévoit la possibilité d’étalonner la rémunération intragroupe par rapport à des références indépendantes et comparables uniquement « à défaut d’élément précis ». N’en déplaise aux cabinets de conseil, la construction de notre droit positif fait que les analyses économiques ne revêtent en réalité qu’un caractère subsidiaire. Ceci est régulièrement rappelé par le juge de l’impôt qui, pour valider l’absence de recherches de comparables faite par l’administration, rappelle que celle-ci peut alternativement démontrer un écart entre le prix pratiqué et la valeur vénale du produit ou du service. Au cas d’espèce, on pourrait considérer que la valeur vénale du service est celle figurant au contrat, puisque celui-ci est réputé régulièrement formé entre les parties…

Enfin, soulignons que la force obligatoire du contrat trouve encore une certaine résonnance jusque dans les principes OCDE applicables en matière de prix de transfert. En effet, dans ses travaux dits « BEPS » visant à appréhender les transferts de bases d’imposition et la lutte contre l’évasion fiscale, l’Organisation reconnait encore une place non négligeable aux conventions intragroupes dans l’appréciation de la nature de pleine concurrence d’une transaction. Pour ne citer que quelques exemples, la référence aux contrats perle ainsi au titre des facteurs de comparabilité (la pierre angulaire du concept de pleine concurrence) ; de la qualification des fonctions et l’attribution des risques corrélatifs ; ou encore la légitimité d’une partie à percevoir les produits liés à l’exploitation d’un actif incorporel.

De là à en conclure que le contrat devrait s’imposer de facto aux parties, alors même qu’il recèle une anormalité sur le terrain fiscal, le raccourci nous semble tout de même un peu rapide. Aussi certainement que ce qui a été fait peut être défait, le contrat régulièrement formé entre les parties pourraient se voir atténuer, voire profondément modifié par un nouvel accord de volonté. Une défense pourrait alors consister en l’explication que ce contrat écrit a entre temps été amendé ou nové par un autre contrat, oral celui-ci, auquel la répétition des comportements entre les parties liées a offert sa légitimité et sa force obligatoire. Cette stratégie serait en outre renforcée nous semble-t-il si le contrat initial contient une clause dite de « hardship », qui par essence permet au contrat de s’adapter à certaines circonstances d’espèce.

Le fond et le comportement réel des parties

Mais imaginons la situation inverse. Celle où le contribuable français serait le débiteur à la transaction et déduirait donc une marge de 15%, conformément au contrat, mais en décalage par rapport aux standards de pleine concurrence. Contrairement à notre première hypothèse, l’administration aurait en pareille circonstance tôt fait de remiser le contrat. Le particularisme du droit fiscal prendrait ici toute son ampleur en offrant à l’administration, avec la bénédiction du juge de l’impôt, la possibilité de faire prévaloir l’intention réelle des parties aux fins de donner à une convention sa juste qualification.

Il s’agit là d’une liberté issue d’une solide tradition jurisprudentielle pour faire entorse au rigorisme du dispositif de l’abus de droit, qui seul permet à l’administration d’écarter purement et simplement le contrat. En permettant au vérificateur de requalifier une convention, le juge lui offre ainsi la possibilité de replacer les parties dans une situation « normale » de gestion. On peut en effet postuler que les parties chercheraient nécessairement un équilibre juste et adéquat, en phase avec la loi, et donc un équilibre de pleine concurrence. Toute convention faisant peser sur une des parties une obligation qui apparaîtrait en décalage avec ce principe reviendrait indirectement mais nécessairement à en vicier l’objet, en plus de mettre en lumière des clauses probablement léonines pour la partie bénéficiaire.

Un arrêt récent de la Cour d’appel de Riom semble ajouter à ce courant, en permettant en outre à l’administration de disqualifier un contrat sans recourir à la procédure de l’abus de droit dès lors que sa signature précède de peu l’opération fiscale remise en cause. En l’espèce, il s’agissait de faire échec à la mise en œuvre du dispositif Dutreil applicable aux holdings animatrices, en mettant en lumière que la convention d’animation stratégique, de gestion et d’assistance commerciale entre la holding et sa filiale avait été signée seulement douze jours avant la donation des titres de la mère. Bien que cette décision ait été rendue sur d’autres terrains fiscaux que les prix de transfert, rien ne devrait faire obstacle à une application holistique de la solution. Ainsi, pour écarter un contrat intragroupe, l’administration pourra désormais s’appuyer sur un élément temporel, en plus du comportement des parties.
Enfin, pour faire écho à la partie précédente et être totalement exhaustif, il convient de préciser que bien que pris en compte par les principes OCDE, les conventions instituent tout au plus qu’une présomption simple. Les actions 8 à 10 du programme BEPS tendent très clairement à donner davantage d’importance au comportement réel des parties et ainsi, à faire prévaloir la réalité opérationnelle sur l’apparence contractuelle. Ceci est particulièrement saillant dans la construction de l’analyse fonctionnelle et la pondération des fonctions, notamment pour ce qui a trait à l’exploitation d’actifs incorporels (les fameuses fonctions « DEMPE ») et partant, l’attribution des profits taxables corrélatifs.

La dernière danse

La porosité du droit fiscal lui permet ainsi d’intégrer des concepts issus d’autres branches du droit, tels que la force obligatoire du contrat. Celle-ci permet à l’administration d’opposer aux parties les clauses de la convention et d’en tirer les conséquences dès lors qu’elles induisent une rémunération.

Tout à l’inverse, l’administration dispose désormais de moyens étendus pour faire échec aux conventions qui selon elle, ne reflètent pas des conditions de pleine concurrence, soit en les requalifiant, soit en les écartant simplement. Le fond et la forme semblent donc parfaitement se compléter comme dans une danse en duo. Dans un dernier mouvement gracieux qui semble rester en suspension, on empruntera à l’excellente Emilie Bokdam-Tognetti ses conclusions récentes rendues sous l’affaire Ferragamo en rappelant que « les principes définis par l’OCDE en matière de prix de transfert ne constituent pas des normes et sont dépourvus d’effet juridique en droit interne. S’ils ne sauraient notamment servir à interpréter les dispositions de l’article 57 du CGI, ils constituent néanmoins une utile source d’inspiration ». Emporté par le rythme effréné qu’a pris la fiscalité internationale depuis quelques années, bien inspiré celui qui saura finalement déterminer qui, du fond ou de la forme, conduira la danse.

1 « In cases where it is appropriate to use a markup, this will normally be modest and experience shows that typically agreed mark ups fall within a range of 3-10%, often around 5%.». EU Joint Transfer Pricing Forum, Guidelines on low value adding intra-group services, DOC: JTPF/020/REV3/2009/EN, §63.

2 Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, §7.61.

3 Art. 1103 nouveau du Code civil. Ajoutons que le nouvel article 1194 précise que les contrats obligent à ce qui y est exprimé et à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi.

4 Article 57, alinéa 4 : « A défaut d’éléments précis pour opérer les rectifications prévues aux premier, deuxième et troisième alinéas, les produits imposables sont déterminés par comparaison avec ceux des entreprises similaires exploitées normalement ».

5 Voir notamment CE 8ème et 3ème ch. réunies, 29 mai 2017, n°401491, Galerie Ariane.

6 Voir par exemple CE, 20 juill. 2007, n°232004.

7 CA Riom, 1er ch. civile, 26 janvier 2021, n°19/01179.

8 Conclusions rendues sous CE 9ème et 10ème ch., 23 novembre 2020, n°425577, Sté Ferragamo France.

Chronique d’actualité en Prix de Transfert

Les travaux BEPS ont replacés l’OCDE au centre du dispositif des Prix de transfert. Forte de son autorité retrouvée, il était naturel que l’Organisation poursuive sur sa lancée et éclaire la discipline, tandis que celle ci traversait la crise pandémique et les changements de paradigmes économiques dans le monde. Les travaux rendus au cours de ses deux dernières années témoignent ainsi de cette vivacité, et apportent des réponses bienvenues à certains des défis fiscaux contemporains.

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