Notre associé fondateur Terence WILHELM s’est vu décerner par le Barreau de Lyon le prix de « La Meilleure Action Solidaire réalisée par un Avocat », lors de la cérémonie tenue au sein de la magnifique auberge Paul Bocuse. Cette distinction vient consacrer les actions entreprises auprès de diverses associations dédiées à l’enfance, telles que Rêves et l’Enfant Bleu. Le Barreau a été sensible à la démarche de notre associé, qui non seulement participe au fonctionnement interne de ces associations en versant une partie des résultats du cabinet, mais aussi invite les enfants lors des matchs de notre partenaire le LOU Rugby, et leur offre un moment privilégié avec les joueurs pour des séances photos et d’autographes.
Lors de la cérémonie, notre associé expliquait : « Ce sport, plus que tout autre, est un formidable vecteur de valeurs. Pendant 80 minutes, les joueurs nous offrent un exemple de combativité, de résilience, de courage, de solidarité, qui sont autant d’éléments que ces jeunes enfants doivent intégrer dans leur quotidien. Après chaque match, les joueurs du LOU se prêtent toujours facilement et volontairement au jeu. Ce sont eux qu’il faudrait célébrer, tant ils prennent le temps et inspirent courage aux enfants. Systématiquement, ces derniers repartent avec un énorme sourire (et des cadeaux que nous leur offrons !), et de quoi être plus fort pour affronter les maux qui les tourmentent, que ce soit la maladie ou la violence ».
Sur un autre plan, le Barreau relevait également les dons aux Restos du Cœur à l’approche de Noël. « C’est une autre démarche bien sûr, mais je ne peux me résoudre à voir un gamin dans la détresse. Alors tous les ans, je charge la voiture avec mon fils de jouets neufs, des livres et des denrées, que je viens déposer au Resto du Cœur pour que des enfants puissent au moins passer de belles fêtes ».
Interrogé par le Bâtonnier quant à sa vision du métier d’avocat, Terence WILHELM répond : « le succès ne vaut que s’il est partagé. J’ai fondé CARA à partir de la volonté de créer un cabinet qui soit à la fois « beau et bon ». Ceci implique bien sûr d’être toujours à la pointe de la technique, mais aussi de transmettre notre savoir, nos valeurs, le fruit de notre réussite à nos équipes et la communauté qui nous entoure. Nous le devons en tant qu’avocat mais aussi en tant que chefs d’entreprises ». La patte du fiscaliste n’est cependant jamais bien loin, et il termine sur une boutade « et puis comme vous le savez je suis avocat fiscaliste ; dépenser pour une bonne cause c’est toujours ça de moins pour le fisc ».
Auteur/autrice : admin1708
Classement Legal 100
Pour la seconde année consécutive, le cabinet CARA Société d’Avocats s’est vu décerner le prix du meilleur cabinet dans la catégorie « prix de transfert » par le prestigieux classement international Legal 100.
Ce classement recense les meilleurs cabinets et structures dans la plupart des pays du monde, répartis par matière, et célèbre ainsi les équipes dont l’excellence opérationnelle, la réussite, la croissance et le traitement des dossiers ont été plébiscités par les clients et un panel de praticiens.
Cette nouvelle récompense vient confirmer notre excellence dans la discipline des prix de transfert et de la fiscalité internationale, et consacre notre stratégie disruptive à 360 degrés dans cette matière, à contre-courant des offres de services de nos concurrents. Le cabinet tient particulièrement à remercier ses clients et partenaires qui ont été sollicités par l’organisme et qui ont répondu aux sondages nous ayant permis de nous distinguer.
CARA AVOCATS est fier de sponsoriser les Gazelles Lyonnaises
Le cabinet CARA AVOCATS est fier de sponsoriser les Gazelles Lyonnaises, l’équipage formé de Déborah PAUGET et Alexandra CROZIER qui concoure à l’édition 2022 du RALLYE AÏCHA DES GAZELLES.
Nous avions été touchés par l’ambition de nos deux pilotes et leur volonté de vivre une aventure hors norme, que les évènements avaient malheureusement repoussé deux années de suite. En nous associant à d’autres partenaires, le cabinet a pu les aider à financer leur véhicule, le voyage et le matériel nécessaire pour participer à cette fantastique aventure qui promeut des valeurs que nous avons en commun : le dépassement de soi, la solidarité, et la reconnaissance de la place des femmes dans notre monde moderne.
Le Rallye Aïcha des Gazelles du Maroc est le seul Rallye-Raid hors-piste 100% féminin au monde certifié norme ISO 14001:2015. Unique en son genre et depuis 1990, il rassemble chaque année des femmes de 18 à 71 ans et de nationalités différentes dans le désert Marocain.
Comme CARA AVOCATS, le Rallye Aïcha des Gazelles prend à contrepied des standards bien établis : depuis sa création, l’évènement développe une autre vision de la compétition automobile : pas de vitesse, pas de GPS mais une navigation à l’ancienne, uniquement en hors-piste pour un retour aux sources de l’Aventure.
Nous souhaitons bonne chance à nos deux Gazelles Lyonnaises et les remercions de porter notre marque sur leur véhicule autant que nos valeurs.
Le fond et la forme en prix de transfert : sur quel pied danser ?
Les confinements successifs et l’ennui qu’ils ont semble-t-il pu générer dans certains foyers ont conduit à l’émergence de défis, parfois invraisemblables, souvent absurdes, largement relayés par les réseaux sociaux. Au rang de ceux-ci, le « Nana Challenge », consistant à exécuter une sorte de gigue en sautillant alternativement sur les deux pieds pour contrer les mouvements opposés de son partenaire. Si l’on peut largement présumer que cette gesticulation rejoindra bien vite le panthéon des danses inutiles, sitôt les corps déconfinés et les esprits recouvrés, l’administration fiscale elle, semble bien décidée à continuer à danser sur deux pieds, en faisant prévaloir dans plusieurs affaires fiscales tantôt la forme, tantôt le fond.
Il en est ainsi des cas où, au titre d’une transaction intragroupe, le contrat signé mentionne une rémunération ne reflétant pas le comportement réel des parties liées. Il se peut par exemple que la convention intègre une rémunération exprimée en pourcentage (rapportée sur les ventes ou sur les coûts), dont le quantum ne reflète manifestement pas des standards de pleine concurrence que des analyses économiques contemporaines auraient mis en lumière. Selon le sens du paiement (que le contribuable français soit créancier ou débiteur de la transaction), le Trésor peut ainsi s’en trouver lésé, ou au contraire en tirer profit.
Un contrat en décalage par rapport au principe de pleine concurrence
Pour illustrer cette situation, prenons l’exemple d’un prestataire de services administratifs situé en France et rendant ses services à une partie liée établie à l’étranger. Un ancien contrat établi entre elles fait mention d’une rémunération définie selon la méthode du coût majoré telle que décrite par les principes directeurs de l’OCDE, visant à couvrir une assiette de coûts augmentée d’une marge de 15%. Pour rendre le cas plus cocasse encore, précisons que le contrat résulte manifestement d’une traduction parfois approximative d’une version existante par ailleurs dans le groupe (sans doute passée entre deux autres entités à l’étranger) et date du début des années 2000, c’est-à-dire antérieurement aux concepts modernes développés par l’OCDE en matière de prix de transfert ; aux obligations documentaires et déclaratives telles qu’on les pratique aujourd’hui ; et aux travaux du Forum Conjoint Européen. Conscientes des travaux de ces organismes et mues par la volonté de bien faire, les parties ont décidé d’appliquer une marge non pas de 15%, mais de 5%, au motif que les prestations rendues s’inscrivent dans la catégorie des « services intra-groupe à faible valeur ajoutée ».
Le Forum Conjoint Européen suggère en effet depuis 2010 qu’une mesure de pleine concurrence pour de tels services pourrait s’établir « entre 3% et 10%, avec une médiane à 5% ». Plus d’une décennie plus tard l’OCDE lui a emboité le pas, en considérant que « Pour déterminer la tarification de pleine concurrence de services intra-groupe à faible valeur ajoutée, le membre du groupe multinational qui fournit ces services doit appliquer une marge bénéficiaire à tous les coûts reportés dans le groupe de coûts. La même marge doit être utilisée pour tous les services à faible valeur ajoutée, quelles que soient les catégories concernées. La marge retenue par le contribuable ne devrait pas être inférieure à 2 % du coût concerné, ni supérieure à 5 % de ce même coût ».
L’affaire pourrait sembler entendue et les parties, confortées par les travaux d’instances internationales prolixes, pourraient naïvement penser avoir atteint la sérénité fiscale. Mais aussi sûrement que l’enfer est pavé de bonnes intentions, cette posture peut selon les cas de figure, être renversée par l’administration à l’occasion d’une vérification de comptabilité.
Posons ici un premier cas de figure. Si le prestataire est un contribuable français, l’administration fiscale, tout empreinte de sa célérité juridique, serait tentée de s’appuyer sur des concepts cardinaux du droit des contrats. Elle serait à même alors d’opposer que ceux-ci « tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ». A cette occasion, l’administration serait certainement en droit de réclamer le différentiel entre la marge réellement pratiquée (5%) et celle figurant au contrat (15%), en plus bien sûr de pratiquer une retenue à la source sur les revenus réputés distribués ; des pénalités pour manquement délibéré de 40% en raison de la libéralité consentie ; et toute la cascade d’impôts et taxes dont l’assiette est assise sur des agrégats communs, maquillant d’ailleurs – rappelons-le – une double voir triple imposition des mêmes bénéfices.
La force obligatoire du contrat ou la prévalence de la forme
Cette posture découle de la théorie de la force obligatoire du contrat, en vertu de laquelle une convention légalement formée crée des obligations dans le chef des parties, qui doivent alors s’y tenir scrupuleusement. Il s’agit d’un concept civiliste ancien, cher aux Etats de droit écrit, et qui irrigue tout notre corpus de droit privé.
Ainsi nous aurait-on menti ? L’autonomie du droit fiscal n’aurait donc été qu’une chimère vendue sur les bancs des facultés de droit pour flatter l’égo des apprentis fiscalistes et vanter leur singularité ? Du panthéon duquel il nous observe, le très regretté Professeur Maurice Cozian objecterait sans doute que sans être autonome, le droit fiscal n’en reste pas moins particulier. Certes ses ressorts sont empreints d’économie et en cela, il diffère des autres thématiques. Il ne saurait cependant se désolidariser des autres branches du droit et plus particulièrement, du droit des obligations, qui constitue le canevas de toute relation entre personnes privées ; pas plus d’ailleurs qu’il ne se détache du droit public, qui régit les relations entre les individus et les émanations de la force publique, dont l’administration fiscale est une des composantes.
On pourrait certes toujours arguer que des parties liées ne pratiqueraient très certainement pas (ou plus) des taux de marge à 15% pour rémunérer des services administratifs. Pour corroborer ce point, le contribuable pourrait alors s’évertuer à produire des recherches de comparables assises sur des bases de données spécialisées. Cette démonstration nous semble néanmoins discutable. En effet, rappelons que l’article 57 du Code général des impôts, sous le visa duquel les rectifications en matière de prix de transfert sont notifiées, prévoit la possibilité d’étalonner la rémunération intragroupe par rapport à des références indépendantes et comparables uniquement « à défaut d’élément précis ». N’en déplaise aux cabinets de conseil, la construction de notre droit positif fait que les analyses économiques ne revêtent en réalité qu’un caractère subsidiaire. Ceci est régulièrement rappelé par le juge de l’impôt qui, pour valider l’absence de recherches de comparables faite par l’administration, rappelle que celle-ci peut alternativement démontrer un écart entre le prix pratiqué et la valeur vénale du produit ou du service. Au cas d’espèce, on pourrait considérer que la valeur vénale du service est celle figurant au contrat, puisque celui-ci est réputé régulièrement formé entre les parties…
Enfin, soulignons que la force obligatoire du contrat trouve encore une certaine résonnance jusque dans les principes OCDE applicables en matière de prix de transfert. En effet, dans ses travaux dits « BEPS » visant à appréhender les transferts de bases d’imposition et la lutte contre l’évasion fiscale, l’Organisation reconnait encore une place non négligeable aux conventions intragroupes dans l’appréciation de la nature de pleine concurrence d’une transaction. Pour ne citer que quelques exemples, la référence aux contrats perle ainsi au titre des facteurs de comparabilité (la pierre angulaire du concept de pleine concurrence) ; de la qualification des fonctions et l’attribution des risques corrélatifs ; ou encore la légitimité d’une partie à percevoir les produits liés à l’exploitation d’un actif incorporel.
De là à en conclure que le contrat devrait s’imposer de facto aux parties, alors même qu’il recèle une anormalité sur le terrain fiscal, le raccourci nous semble tout de même un peu rapide. Aussi certainement que ce qui a été fait peut être défait, le contrat régulièrement formé entre les parties pourraient se voir atténuer, voire profondément modifié par un nouvel accord de volonté. Une défense pourrait alors consister en l’explication que ce contrat écrit a entre temps été amendé ou nové par un autre contrat, oral celui-ci, auquel la répétition des comportements entre les parties liées a offert sa légitimité et sa force obligatoire. Cette stratégie serait en outre renforcée nous semble-t-il si le contrat initial contient une clause dite de « hardship », qui par essence permet au contrat de s’adapter à certaines circonstances d’espèce.
Le fond et le comportement réel des parties
Mais imaginons la situation inverse. Celle où le contribuable français serait le débiteur à la transaction et déduirait donc une marge de 15%, conformément au contrat, mais en décalage par rapport aux standards de pleine concurrence. Contrairement à notre première hypothèse, l’administration aurait en pareille circonstance tôt fait de remiser le contrat. Le particularisme du droit fiscal prendrait ici toute son ampleur en offrant à l’administration, avec la bénédiction du juge de l’impôt, la possibilité de faire prévaloir l’intention réelle des parties aux fins de donner à une convention sa juste qualification.
Il s’agit là d’une liberté issue d’une solide tradition jurisprudentielle pour faire entorse au rigorisme du dispositif de l’abus de droit, qui seul permet à l’administration d’écarter purement et simplement le contrat. En permettant au vérificateur de requalifier une convention, le juge lui offre ainsi la possibilité de replacer les parties dans une situation « normale » de gestion. On peut en effet postuler que les parties chercheraient nécessairement un équilibre juste et adéquat, en phase avec la loi, et donc un équilibre de pleine concurrence. Toute convention faisant peser sur une des parties une obligation qui apparaîtrait en décalage avec ce principe reviendrait indirectement mais nécessairement à en vicier l’objet, en plus de mettre en lumière des clauses probablement léonines pour la partie bénéficiaire.
Un arrêt récent de la Cour d’appel de Riom semble ajouter à ce courant, en permettant en outre à l’administration de disqualifier un contrat sans recourir à la procédure de l’abus de droit dès lors que sa signature précède de peu l’opération fiscale remise en cause. En l’espèce, il s’agissait de faire échec à la mise en œuvre du dispositif Dutreil applicable aux holdings animatrices, en mettant en lumière que la convention d’animation stratégique, de gestion et d’assistance commerciale entre la holding et sa filiale avait été signée seulement douze jours avant la donation des titres de la mère. Bien que cette décision ait été rendue sur d’autres terrains fiscaux que les prix de transfert, rien ne devrait faire obstacle à une application holistique de la solution. Ainsi, pour écarter un contrat intragroupe, l’administration pourra désormais s’appuyer sur un élément temporel, en plus du comportement des parties.
Enfin, pour faire écho à la partie précédente et être totalement exhaustif, il convient de préciser que bien que pris en compte par les principes OCDE, les conventions instituent tout au plus qu’une présomption simple. Les actions 8 à 10 du programme BEPS tendent très clairement à donner davantage d’importance au comportement réel des parties et ainsi, à faire prévaloir la réalité opérationnelle sur l’apparence contractuelle. Ceci est particulièrement saillant dans la construction de l’analyse fonctionnelle et la pondération des fonctions, notamment pour ce qui a trait à l’exploitation d’actifs incorporels (les fameuses fonctions « DEMPE ») et partant, l’attribution des profits taxables corrélatifs.
La dernière danse
La porosité du droit fiscal lui permet ainsi d’intégrer des concepts issus d’autres branches du droit, tels que la force obligatoire du contrat. Celle-ci permet à l’administration d’opposer aux parties les clauses de la convention et d’en tirer les conséquences dès lors qu’elles induisent une rémunération.
Tout à l’inverse, l’administration dispose désormais de moyens étendus pour faire échec aux conventions qui selon elle, ne reflètent pas des conditions de pleine concurrence, soit en les requalifiant, soit en les écartant simplement. Le fond et la forme semblent donc parfaitement se compléter comme dans une danse en duo. Dans un dernier mouvement gracieux qui semble rester en suspension, on empruntera à l’excellente Emilie Bokdam-Tognetti ses conclusions récentes rendues sous l’affaire Ferragamo en rappelant que « les principes définis par l’OCDE en matière de prix de transfert ne constituent pas des normes et sont dépourvus d’effet juridique en droit interne. S’ils ne sauraient notamment servir à interpréter les dispositions de l’article 57 du CGI, ils constituent néanmoins une utile source d’inspiration ». Emporté par le rythme effréné qu’a pris la fiscalité internationale depuis quelques années, bien inspiré celui qui saura finalement déterminer qui, du fond ou de la forme, conduira la danse.
1 « In cases where it is appropriate to use a markup, this will normally be modest and experience shows that typically agreed mark ups fall within a range of 3-10%, often around 5%.». EU Joint Transfer Pricing Forum, Guidelines on low value adding intra-group services, DOC: JTPF/020/REV3/2009/EN, §63.
2 Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, §7.61.
3 Art. 1103 nouveau du Code civil. Ajoutons que le nouvel article 1194 précise que les contrats obligent à ce qui y est exprimé et à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi.
4 Article 57, alinéa 4 : « A défaut d’éléments précis pour opérer les rectifications prévues aux premier, deuxième et troisième alinéas, les produits imposables sont déterminés par comparaison avec ceux des entreprises similaires exploitées normalement ».
5 Voir notamment CE 8ème et 3ème ch. réunies, 29 mai 2017, n°401491, Galerie Ariane.
6 Voir par exemple CE, 20 juill. 2007, n°232004.
7 CA Riom, 1er ch. civile, 26 janvier 2021, n°19/01179.
8 Conclusions rendues sous CE 9ème et 10ème ch., 23 novembre 2020, n°425577, Sté Ferragamo France.
Chronique d’actualité en Prix de Transfert
Cara société d’avocats intègre le prestigieux classement LEGAL 100
CARA Société d’Avocats est fière d’annoncer qu’elle a été distinguée par LAWYER INTERNATIONAL pour figurer dans le classement LEGAL 100 !
Ce classement international, fondé sur nos réussites, nos contributions à la sphère fiscale internationale et des sondages auprès de nos clients, vise à mettre en valeur les cabinets qui fournissent continuellement au client un niveau de service exceptionnel, en démontrant un degré d’expertise élevé en matière de fiscalité et de prix de transfert.
Cette reconnaissance vient conforter notre modèle d’entreprise et nos actions au cours de cette dernière année compliquée, au cours de laquelle le cabinet a connu une évolution profonde, en intégrant de nouveaux talents et en déménageant son siège dans des nouveaux locaux à son image.
Cette distinction, qui vient parachever notre stratégie amorcée en toute fin 2017, consolide les récompenses obtenues précédemment en tant que MEILLEUR CABINET EN PRIX DE TRANSFERT DE France pour les années 2020 et 2021.
Nous tenons à remercier chaleureusement nos clients et partenaires qui ont contribué à ce processus de sélection et les assurons de notre motivation redoublée pour continuer à défendre leurs intérêts dans les sphères stratégiques des Prix de Transfert, de la Fiscalité Internationale et de la Fiscalité des Entreprises.
CARA Avocats intègre le réseau d’avocats Goji
Le réseau d’avocats GOJI a le plaisir de vous annoncer l’arrivée du cabinet CARA Avocats en son sein depuis le 1er juillet 2021.
Nos membres :
LEXPLUS CONSEIL – Droit des sociétés, fusion-acquisition et restructuration – Implantation internationale
LEXPLUS CONTENTIEUX – Contentieux des affaires
HERMITAGE AVOCATS – Droit social
TROIS (point) QUATORZE – Contrat, Concurrence, Distribution – Propriété intellectuelle, nouvelles technologies de l’information
CARA AVOCATS – Fiscalité française et internationale
Plus d’infos : www.goji-avocats.fr
Choisir entre le CIR ou l’IS : bien plus qu’une bataille d’acronymes, un choix stratégique
Certains serpents de mer ressurgissent à chaque fois que l’on remue les fonds des bassins les plus croupis. Il en est ainsi des niches fiscales, à nouveau réétalés sur le billot à l’heure où les premiers bilans mettent en lumière une explosion des dépenses publiques et des projections économiques plus moroses encore que prévues. Concomitamment à l’annonce du déficit budgétaire qui va gonfler à 117% du PIB français, voilà que la Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation (la « Cnepi »), une instance chapeautée par France Stratégie, l’organisme d’évaluation et de prospective rattaché à Matignon, publie un rapport critique sur l’efficacité du Crédit d’Impôt Recherche.
L’efficacité du CIR contestée
Dans ce rapport de 138 pages, la Cnepie dresse le constat que malgré sa position de première niche fiscale française (6,6 milliards d’euros de dépenses estimées en 2020) le CIR produirait des effets très discutables sur toute une série d’indicateurs.
Concernant l’attractivité de la France d’abord, la Commission soutient que le CIR participe effectivement à freiner les délocalisations, mais sans les enrayer. Il est un fait que notre outil industriel n’a eu de cesse de fondre comme neige au soleil et qu’à l’inverse, aucun géant des nouvelles technologies ou des secteurs innovants n’a établi son siège sur notre territoire au cours de cette dernière décennie. Pis, le rapport met en lumière que des pays comme les Etats-Unis, la Corée du Sud, l’Allemagne, les Pays-Bas, ou encore la Suède, qui ne disposent pas de régimes fiscaux similaires, enregistrent davantage d’investissements dans la recherche que la France. Par extension, les entreprises de ces pays déposent aussi plus de brevets que leurs concurrents français et sont mieux représentés dans les pelotons de tête des secteurs industriels qu’ils occupent.
Sur le terrain des agrégats financiers, la Cnepie met en avant que le CIR n’a pas non plus produit d’effets notables sur le chiffre d’affaires des entreprises, ni de gains record en valeur ajoutée. Il s’en suit mécaniquement un remploi décourageant dans les outils de production ou l’emploi, deux thèmes majeurs dans les plans de relance actuels. Pour cause, le CIR profite d’abord et avant tout aux PME, moins aux ETI et aux grands groupes, et ce contrairement à l’image d’Epinal qu’on pourrait avoir classiquement des avantages fiscaux réservés aux entreprises.
Le mauvais débat
Faut-il alors supprimer le CIR et le sacrifier sur l’autel de la dette Covid ? La Cnepie se garde de toute suggestion sur ce point, et laisse à Matignon le soin de tirer toutes les conséquences de ce bilan en trompe l’œil. Car ne nous trompons pas : ce sujet du maintien ou non du crédit d’impôt recherche reflète parfaitement l’hypocrisie de notre système fiscal applicable aux entreprises.
Rappelons d’abord, pour poser le sujet dans son environnement, que c’est la science et l’innovation qui ensemble, sont en train de sauver nos économies de la crise qui les frappe depuis maintenant plus d’un an. Il n’y aurait pas de vaccins, pas de moyens modernes d’analyse rapides et fiables ; pas d’outils digitaux à l’instar des applications multiplateformes de prise de rendez-vous et de suivi des stocks de vaccins, sans efforts de recherche et de développement. Il est donc nécessaire d’encourager ces activités et ces secteurs et de les préserver de l’asphyxie fiscale. Les médisants répondront sans doute que le premier bénéficiaire du CIR, à savoir le groupe Sanofi, est le seul géant du secteur pharmaceutique qui n’a pas développé son vaccin. Certes. Mais les éclairés vous le diront : les choix de recherche et de sélection des projets découlent dans ce secteur d’une énorme prise de risque, et relèvent parfois du coup de poker. On ne gagne pas à tous les coups.
Aussi et surtout – et nous nous garderons de tout mauvais jeu de mots – le problème n’est pas la cure, c’est la maladie. L’inefficacité toute relative du CIR est à mettre en perspective du poids de la fiscalité actuelle qui pèse sur les entreprises. Supprimer le CIR reviendrait en effet mécaniquement à augmenter l’impôt sur les sociétés pour les entreprises qui en bénéficient actuellement, alors même que notre pression fiscale demeure toujours la plus forte au monde. La faute revient à l’enchevêtrement d’impôts et de taxes qui portent sur des assiettes communes, et la multiplication des prélèvements non déductibles, masquant par la même occasion une double, voire triple imposition des mêmes valeurs. Malgré la mise en œuvre du calendrier de baisse progressive du taux d’IS, les impôts de production demeurent encore exorbitants, loin devant ceux de nos voisins européens, et plus encore de ceux des Etats cités plus hauts qui ne disposent pas du CIR dans leur arsenal fiscal. Il en résulte un tissu industriel largement dégradé dans l’hexagone, alors même que la recherche et le secteur productif sont nécessairement et intrinsèquement liés.
Repenser le CIR
Plutôt que de le condamner trop rapidement, le CIR doit au contraire et probablement être repensé. D’abord dans son champ d’application : les méandres de ce dispositif en ont rapidement fait un des axes privilégiés de contrôle fiscal, et tant la doctrine administrative traitant du sujet que les décisions jurisprudentielles de ces dernières années sont devenues foisonnantes. Bien malin est le fiscaliste qui arrive à retrouver son chemin dans ce jeu de pistes labyrinthique qu’est devenu le cadre réglementaire du CIR !
En outre, son efficacité devra sans doute être appréhendée à la lumière du régime fiscal privilégié applicable aux brevets et inventions assimilées, qui le complète parfaitement. Pour l’heure, ce nouveau régime visé à l’article 238 du Code général des impôts est encore trop neuf pour en apprécier correctement la portée. Il est cependant probable que couplé avec le CIR, ce nouveau régime d’inspiration internationale produira des effets intéressants pour les entreprises tournées vers l’innovation. Il sera alors toujours temps de réexaminer l’efficacité du CIR. Tandis que la science nous démontre actuellement son importance dans nos vies, gardons-nous bien de décourager les efforts de recherche.
Le fond et la forme en prix de transfert : sur quel pied danser ?
Les confinements successifs et l’ennui qu’ils ont semble-t-il pu générer dans certains foyers ont conduit à l’émergence de défis, parfois invraisemblables, souvent absurdes, largement relayés par les réseaux sociaux. Au rang de ceux-ci, le « Nana Challenge », consistant à exécuter une sorte de gigue en sautillant alternativement sur les deux pieds pour contrer les mouvements opposés de son partenaire. Si l’on peut largement présumer que cette gesticulation rejoindra bien vite le panthéon des danses inutiles, sitôt les corps déconfinés et les esprits recouvrés, l’administration fiscale elle, semble bien décidée à continuer à danser sur deux pieds, en faisant prévaloir dans plusieurs affaires fiscales tantôt la forme, tantôt le fond.
Il en est ainsi des cas où, au titre d’une transaction intragroupe, le contrat signé mentionne une rémunération ne reflétant pas le comportement réel des parties liées. Il se peut par exemple que la convention intègre une rémunération exprimée en pourcentage (rapportée sur les ventes ou sur les coûts), dont le quantum ne reflète manifestement pas des standards de pleine concurrence que des analyses économiques contemporaines auraient mis en lumière. Selon le sens du paiement (que le contribuable français soit créancier ou débiteur de la transaction), le Trésor peut ainsi s’en trouver lésé, ou au contraire en tirer profit.
Un contrat en décalage par rapport au principe de pleine concurrence
Pour illustrer cette situation, prenons l’exemple d’un prestataire de services administratifs situé en France et rendant ses services à une partie liée établie à l’étranger. Un ancien contrat établi entre elles fait mention d’une rémunération définie selon la méthode du coût majoré telle que décrite par les principes directeurs de l’OCDE, visant à couvrir une assiette de coûts augmentée d’une marge de 15 %. Pour rendre le cas plus cocasse encore, précisons que le contrat résulte manifestement d’une traduction parfois approximative d’une version existante par ailleurs dans le groupe (sans doute passée entre deux autres entités à l’étranger) et date du début des années 2000, c’est-à-dire antérieurement aux concepts modernes développés par l’OCDE en matière de prix de transfert ; aux obligations documentaires et déclaratives telles qu’on les pratique aujourd’hui ; et aux travaux du Forum Conjoint Européen. Conscientes des travaux de ces organismes et mues par la volonté de bien faire, les parties ont décidé d’appliquer une marge non pas de 15 %, mais de 5 %, au motif que les prestations rendues s’inscrivent dans la catégorie des « services intra-groupe à faible valeur ajoutée ».
Le Forum Conjoint Européen suggère en effet depuis 2010 qu’une mesure de pleine concurrence pour de tels services pourrait s’établir « entre 3 % et 10 %, avec une médiane à 5% 1. Plus d’une décennie plus tard, l’OCDE lui a emboîté le pas, en considérant que « Pour déterminer la tarification de pleine concurrence de services intra-groupe à faible valeur ajoutée, le membre du groupe multinational qui fournit ces services doit appliquer une marge bénéficiaire à tous les coûts reportés dans le groupe de coûts. La même marge doit être utilisée pour tous les services à faible valeur ajoutée, quelles que soient les catégories concernées. La marge retenue par le contribuable ne devrait pas être inférieure à 2 % du coût concerné ni supérieure à 5 % de ce même coût »2.
L’affaire pourrait sembler entendue et les parties, confortées par les travaux d’instances internationales prolixes, pourraient naïvement penser avoir atteint la sérénité fis- cale. Mais aussi sûrement que l’enfer est pavé de bonnes intentions, cette posture peut selon les cas de figure, être renversée par l’administration à l’occasion d’une vérification de comptabilité.
Posons ici un premier cas de figure. Si le prestataire est un contribuable français, l’administration fiscale, tout empreinte de sa célérité juridique, serait tentée de s’appuyer sur des concepts cardinaux du droit des contrats. Elle serait à même alors d’opposer que ceux-ci « tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits »3. A cette occasion, l’administration serait certainement en droit de réclamer le différentiel entre la marge réellement pratiquée (5 %) et celle figurant au contrat (15 %), en plus bien sûr de pratiquer une retenue à la source sur les revenus réputés distribués ; des pénalités pour manquement délibéré de 40 % en rai- son de la libéralité consentie; et toute la cascade d’impôts et taxes dont l’assiette est assise sur des agrégats communs, maquillant d’ailleurs – rappelons-le – une double voir triple imposition des mêmes bénéfices.
La force obligatoire du contrat ou la prévalence de la forme
Cette posture découle de la théorie de la force obligatoire du contrat, en vertu de laquelle une convention légale- ment formée crée des obligations dans le chef des parties, qui doivent alors s’y tenir scrupuleusement. Il s’agit d’un concept civiliste ancien, cher aux États de droit écrit, et qui irrigue tout notre corpus de droit privé.
Ainsi nous aurait-on menti? L’autonomie du droit fiscal n’aurait donc été qu’une chimère vendue sur les bancs des facultés de droit pour flatter l’ego des apprentis fiscalistes et vanter leur singularité ? Du panthéon duquel il nous observe, le très regretté Professeur Maurice Cozian objecterait sans doute que sans être autonome, le droit fiscal n’en reste pas moins particulier. Certes ses ressorts sont empreints d’économie et en cela, il diffère des autres thématiques. Il ne saurait cependant se désolidariser des autres branches du droit et plus particulièrement, du droit des obligations, qui constitue le canevas de toute relation entre personnes privées ; pas plus d’ailleurs qu’il ne se détache du droit public, qui régit les relations entre les individus et les émanations de la force publique, dont l’administration fiscale est une des composantes.
On pourrait certes toujours arguer que des parties liées ne pratiqueraient très certainement pas (ou plus) des taux de marge à 15 % pour rémunérer des services administratifs. Pour corroborer ce point, le contribuable pourrait alors s’évertuer à produire des recherches de comparables assises sur des bases de données spécialisées. Cette démonstration nous semble néanmoins discutable. En effet, rappelons que l’article 57 du Code général des impôts, sous le visa duquel les rectifications en matière de prix de transfert sont notifiées, prévoit la possibilité d’étalonner la rémunération intragroupe par rapport à des références indépendantes et comparables uniquement « à défaut d’élément précis »4. N’en déplaise aux cabinets de conseil, la construction de notre droit positif fait que les analyses économiques ne revêtent en réalité qu’un caractère subsidiaire. Ceci est régulièrement rappelé par le juge de l’impôt qui, pour valider l’absence de recherches de comparables faite par l’administration, rappelle que celle- ci peut alternativement démontrer un écart entre le prix pratiqué et la valeur vénale du produit ou du service5. Au cas d’espèce, on pourrait considérer que la valeur vénale du service est celle figurant au contrat, puisque celui-ci est réputé régulièrement formé entre les parties…
Enfin, soulignons que la force obligatoire du contrat trouve encore une certaine résonnance jusque dans les principes OCDE applicables en matière de prix de transfert. En effet, dans ses travaux dits « BEPS » visant à appréhender les transferts de bases d’imposition et la lutte contre l’évasion fiscale, l’Organisation reconnait encore une place non négligeable aux conventions intragroupes dans l’appréciation de la nature de pleine concurrence d’une transaction. Pour ne citer que quelques exemples, la référence aux contrats perle ainsi au titre des facteurs de comparabilité (la pierre angulaire du concept de pleine concurrence) ; de la qualification des fonctions et l’attribution des risques corrélatifs ; ou encore la légitimité d’une partie à percevoir les produits liés à l’exploitation d’un actif incorporel.
De là à en conclure que le contrat devrait s’imposer de facto aux parties, alors même qu’il recèle une anormalité sur le terrain fiscal, le raccourci nous semble tout de même un peu rapide. Aussi certainement que ce qui a été fait peut être défait, le contrat régulièrement formé entre les parties pourrait se voir atténuer, voire profondément modifié par un nouvel accord de volonté. Une défense pourrait alors consister en l’explication que ce contrat écrit a entre temps été amendé ou nové par un autre contrat, oral celui-ci, auquel la répétition des comportements entre les parties liées a offert sa légitimité et sa force obligatoire. Cette stratégie serait en outre renforcée, nous semble-t-il, si le contrat initial contient une clause dite de « hardship », qui par essence permet au contrat de s’adapter à certaines circonstances d’espèce.
Le fond et le comportement réel des parties
Mais imaginons la situation inverse. Celle où le contribuable français serait le débiteur à la transaction et déduirait donc une marge de 15 %, conformément au contrat, mais en décalage par rapport aux standards de pleine concurrence. Contrairement à notre première hypothèse, l’administration aurait en pareille circonstance tôt fait de remiser le contrat. Le particularisme du droit fiscal prendrait ici toute son ampleur en offrant à l’administration, avec la bénédiction du juge de l’impôt, la possibilité de faire prévaloir l’intention réelle des parties aux fins de donner à une convention sa juste qualification.
Il s’agit là d’une liberté issue d’une solide tradition jurisprudentielle pour faire entorse au rigorisme du dispositif de l’abus de droit, qui seul permet à l’administration d’écarter purement et simplement le contrat6. En permettant au vérificateur de requalifier une convention, le juge lui offre ainsi la possibilité de replacer les parties dans une situation « normale » de gestion. On peut en effet postuler que les parties chercheraient nécessairement un équilibre juste et adéquat, en phase avec la loi, et donc un équilibre de pleine concurrence. Toute convention faisant peser sur une des parties une obligation qui apparaîtrait en décalage avec ce principe reviendrait indirectement, mais nécessairement à en vicier l’objet, en plus de mettre en lumière des clauses probablement léonines pour la partie bénéficiaire.
Un arrêt récent de la Cour d’appel de Riom semble ajouter à ce courant, en permettant en outre à l’administration de disqualifier un contrat sans recourir à la procédure de l’abus de droit dès lors que sa signature précède de peu l’opération fiscale remise en cause. En l’espèce, il s’agissait de faire échec à la mise en œuvre du dispositif Dutreil applicable aux holdings animatrices, en mettant en lumière que la convention d’animation stratégique, de gestion et d’assistance commerciale entre la holding et sa filiale avait été signée seulement douze jours avant la donation des titres de la mère7. Bien que cette décision ait été ren- due sur d’autres terrains fiscaux que les prix de transfert, rien ne devrait faire obstacle à une application holistique de la solution. Ainsi, pour écarter un contrat intragroupe, l’administration pourra désormais s’appuyer sur un élément temporel, en plus du comportement des parties.
Enfin, pour faire écho à la partie précédente et être totalement exhaustif, il convient de préciser que bien que pris en compte par les principes OCDE, les conventions instituent tout au plus qu’une présomption simple. Les actions 8 à 10 du programme BEPS tendent très clairement à donner davantage d’importance au comportement réel des parties et ainsi, à faire prévaloir la réalité opérationnelle sur l’apparence contractuelle. Ceci est particulièrement saillant dans la construction de l’analyse fonctionnelle et la pondération des fonctions, notamment pour ce qui a trait à l’exploitation d’actifs incorporels (les fameuses fonctions « DEMPE ») et partant, l’attribution des profits taxables corrélatifs.
La dernière danse
La porosité du droit fiscal lui permet ainsi d’intégrer des concepts issus d’autres branches du droit, tels que la force obligatoire du contrat. Celle-ci permet à l’administration d’opposer aux parties les clauses de la convention et d’en tirer les conséquences dès lors qu’elles induisent une rémunération. Tout à l’inverse, l’administration dis- pose désormais de moyens étendus pour faire échec aux conventions qui selon elle, ne reflètent pas des conditions de pleine concurrence, soit en les requalifiant, soit en les écartant simplement. Le fond et la forme semblent donc parfaitement se compléter comme dans une danse en duo. Dans un dernier mouvement gracieux qui semble rester en suspension, on empruntera à l’excellente Emilie Bokdam-Tognetti ses conclusions récentes rendues sous l’affaire Ferragamo en rappelant que « les principes définis par l’OCDE en matière de prix de transfert ne constituent pas des normes et sont dépourvus d’effet juridique en droit interne. S’ils ne sauraient notamment servir à interpréter les dispositions de l’article 57 du CGI, ils constituent néanmoins une utile source d’inspiration »88. Emporté par le rythme effréné qu’a pris la fiscalité internationale depuis quelques années, bien inspiré celui qui saura finalement déterminer qui, du fond ou de la forme, conduira la danse.
(1) « In cases where it is appropriate to use a markup, this will normally be modest and experience shows that typically agreed mark ups fall wit- hin a range of 3-10 %, often around 5 %. ». EU Joint Transfer Pricing Forum, Guidelines on low value adding intra-group services, DOC: JTPF/020/REV3/2009/EN, §63.
(2) Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, §7.61.
(3) Art. 1103 nouveau du Code civil. Ajoutons que le nouvel article 1194 précise que les contrats obligent à ce qui y est exprimé et à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi.
(4) Article 57, alinéa 4 : « À défaut d’éléments précis pour opérer les rectifications prévues aux premier, deuxième et troisième alinéas, les produits imposables sont déterminés par comparaison avec ceux des entreprises similaires exploitées normalement ».
(5) Voir notamment CE 8e et 3e ch. réunies, 29 mai 2017, n° 401491, Galerie Ariane.
(6) Voir par exemple CE, 20 juill. 2007, n° 232004.
(7) CA Riom, 1er ch. civile, 26 janv. 2021, n° 19/01179.
(8) Conclusions rendues sous CE 9e et 10e ch., 23 nov. 2020, n° 425577, Sté Ferragamo France.
Comment intégrer les effets de la pandémie liée au Covid-19 dans les politiques de prix de transfert ?
(réponses pratiques aux questions remontées du terrain)
Il nous avait habitués à d’autres annonces. Le Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE (CTP), qui il y a peu encore épiloguait sur « le nouveau droit d’imposition » lié à la mise en œuvre des piliers 1 et 2-1, concentre désormais ses efforts sur les moyens de soulager les contribuables dans l’actuelle crise sanitaire inédite liée à la pandémie du Covid-19 2 .
Car l’urgence est pressante et réelle. Lors d’une conférence de presse tenue le 2 mars dernier, le Chef économiste de l’Organisation, Laurence Boone, tentait par des formules mesurées de tempérer les statistiques alarmantes observées par les analystes 3 . C’est un fait : par-delà ses tristes conséquences sanitaires, la crise marque aussi par ses effets brutaux sur l’économie mondiale. En seulement quelques semaines, elle a provoqué un quasi-arrêt de toutes les activités marchandes, sur tous les continents. Et si certains secteurs économiques ont mieux résisté que d’autres, la plupart ont néanmoins vu leurs projections budgétaires voler en éclats et des pertes et manques à gagner sont enregistrés en tout ou partie des chaînes de valeurs.
Or, dans notre économie moderne, ces chaînes de valeurs sont fortement concentrées au sein de groupements d’entreprises. Les effets de cette crise vont donc en tout premier lieu affecter la matière des prix de transfert, qui régit les relations contractuelles et financières entre entités placées dans des relations de contrôle commun. Se pose alors la question de savoir comment attribuer ces effets entre les différents acteurs, avec comme composante sous-jacente l’identification (quels acteurs doivent nécessairement supporter ces effets) et la quantification (quelle proportion d’effets négatifs attribuer).
Certes, les effets concrets de cette situation inédite resteront à appréhender sur le long terme et avec le recul nécessaire, à la lumière des changements réglementaires qui suivront certainement ; des changements de paradigmes des autorités fiscales ; et des stratégies opérationnelles des acteurs économiques. Toute analyse actuelle doit donc faire preuve de prudence, autant que d’humilité.
Cependant et sans prétendre à l’exhaustivité, nous tâcherons dans les développements à suivre d’offrir des réponses aux questionnements qui taraudent les groupes d’entreprises et qui pour certaines nous ont d’ores et déjà été remontées du terrain. Pour ce faire nous suivrons un cheminement intellectuel logique, voire chronologique, en adressant l’attribution des pertes et en proposant quelques recommandations pour aménager les politiques de prix de transfert existantes.
Toutes les entreprises d’un groupe peuvent-elles accuser des pertes ?
La question de la gestion des pertes dans un environnement prix de transfert met en lumière une approche binaire et limitante, laquelle en réalité a souvent conduit au fil des ans à considérer que les pertes ne pouvaient être supportées que par une seule partie. Cette croyance ne saurait cependant résister à une analyse tant juridique qu’économique objective.
Rafraîchissons-nous la mémoire. Le principe de pleine concurrence développé par l’OCDE et repris par la quasi-totalité des Etats 4 incombe aux parties d’un même groupe d’entreprises de rémunérer les transactions qui les lient à la lumière des pratiques observables chez des parties tierces, indépendantes l’une de l’autre, et placées dans des situations comparables. Parce qu’il tend à se concentrer sur chaque transaction liée prise isolément, ce concept de pleine concurrence a cependant progressivement conduit à placer les entreprises liées dans une relation aveuglément binaire, réduite à un créancier et un débiteur, auxquels la pratique a substitué les termes « d’entrepreneur » et de « routinier ». Mais pour citer l’illustre professeur Nicolas Rontchevsky : « tous les praticiens se copient et se répètent, le problème est que le premier était un idiot ».
Car la vérité nous impose de reconnaître que ces terminologies sont vides de sens et sont d’ailleurs absentes des principes directeurs de l’OCDE, qui forment pourtant le socle de la fiscalité moderne des prix de transfert.
Ceci n’a pas empêché les praticiens, et l’administration fiscale en tête, de développer une approche manichéenne de l’économie moderne et de considérer que la partie à la transaction liée endossant le profil de routinier devait percevoir une rémunération fixe, à l’inverse de l’entrepreneur qui aurait par déduction droit aux profits ou pertes résiduelles. Bon an mal an, cette vision binaire a conduit dans de nombreux cas de figure à considérer que le routinier ne pouvait souffrir de pertes.
Une croyance limitante en générant une autre, on a en effet vu émerger un concept idoine, celui de distributeur ou fabricant routinier « à risque limité », qui n’est d’ailleurs guère plus décrit. Foi d’avocat fiscaliste, on a pu lire dans de très nombreuses propositions de rectification que ce distributeur ou fabricant « à risque limité », parce qu’il endosse un profil de routine, devrait percevoir « une rémunération faible, en adéquation avec ses fonctions et risques limités, mais nécessairement positive ».
Mais à quel moment de l’histoire de l’économie contemporaine a-t-il été considéré qu’un acteur économique serait prémuni contre le risque de perte ? Il s’agit là d’une interrogation à laquelle le fiscaliste s’est trop longtemps gardé de répondre, sans doute bien à l’abris derrière le principe de l’autonomie du droit fiscal (un autre concept dévoyé). Car en réalité, force est de reconnaître que n’importe quelle entreprise, indépendamment de son secteur d’activité, des fonctions qu’elle exerce ou des risques qu’elle porte (ce que les praticiens appellent « le profil fonctionnel ») peut à un moment de son histoire supporter des pertes, chroniques ou sporadiques.
En premier lieu, et sauf à ce que le contrat intragroupe n’en dispose autrement, la notion de « risque limité » ne devrait nullement signifier une immunité totale contre tout risque. Il s’agit là d’un trait commun à toute entreprise que de faire face à la volatilité de son marché, de même que de porter les conséquences potentiellement adverses de ses décisions. Qu’elle soit d’essence civile ou commerciale, une entreprise peut engager des dépenses qui vont excéder ses profits et ainsi, générer du déficit. Ceci demeure vrai même pour des structures dont l’objet n’est pas de réaliser des bénéfices, à l’instar des sociétés de moyens ou les groupements d’intérêt général. Pour ces derniers, la jurisprudence a eu l’occasion de rappeler que, même placés dans une relation de dépendance, leur objet même justifiait l’absence de profit 5 . Pour autant, aucune réserve n’est formulée quant à l’impossibilité qui serait la leur d’enregistrer des pertes.
La génération de déficits peut même s’inscrire dans une stratégie économique, conforme à l’intérêt social d’une entreprise. Comme le relevait d’ailleurs le rapporteur public dans ses conclusions sous l’affaire précitée : « aucune disposition du Code général des impôts n’oblige une entreprise à faire des bénéfices 6» . Ceci conduit d’ailleurs à un second argument. En effet, force est de constater que rien dans le droit positif n’interdit de réaliser des pertes, dès lors que celles-ci ne reflètent pas un acte anormal de gestion. Il en est ainsi des stratégies de pénétration de marché ; d’investissements stratégiques à long terme ; ainsi que de ce que l’OCDE qualifie « d’approche de portefeuille » et que l’on retrouve dans les secteurs automobiles ou des biens de consommation, pour ne citer qu’eux 7 .
L’utilisation des pertes fiscales fait en outre l’objet de plusieurs articles du Code général des impôts. Rien que le troisième alinéa de l’article 209-I décrit avec une précision quasi mécaniquement le calcul du déficit reportable en avant. Dès lors que l’emploi des déficits est clairement et expressément décrit par la loi, sans réserver le régime à une catégorie spécifique de contribuables, comment pourrait-on considérer que certains, au motif qu’ils font partie d’un groupe, répondraient d’une autre logique ? Ceci conduirait à violer l’essence même du principe de pleine concurrence, en plus de rompre l’adage appris religieusement sur les bancs de la faculté de droit qui rappelle que « là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer ».
Néanmoins, il est une autre loi qui pourrait s’imposer au cas d’espèce, à savoir « la loi entre les parties ». Ce concept, qui émane directement du principe de force obligatoire des contrats, découle de l’article 1103 de notre Code civil. Il suppose que dès lors que le contrat est équilibré et relève d’un consentement libre et éclairé (ce qui est de fait, une présomption entre entreprises), les parties à cet accord s’engagent à en respecter les termes. Indépendamment de la spécificité de la matière fiscale ou de l’environnement économique, ce principe s’impose comme un point cardinal dans notre système juridique qui, rappelons, est de droit écrit. Il est donc impératif, avant tout ajustement ou modification de la politique de prix de transfert, de revoir les contrats afin de déterminer la répartition des obligations de chaque partie à la transaction.
Ceci mis à part, la question pourrait légitimement se poser au sujet des commissionnaires réalisant des pertes. Bien que d’essence commerciale (le statut de commissionnaire découle de l’article L132-1 du Code de commerce), le commissionnaire tombe en effet de plein droit dans le chapitre du Code civil dédié au mandataire. Là encore, ce statut est clairement défini et encadré par le Code civil, et plus particulièrement les articles 1984 et suivants, que le juge commercial a contribué à enrichir au fil des ans. Un courant prétorien avait ainsi été amorcé par la Cour de cassation au profit des pompistes exploitant une concession de marque. Le juge suprême a considéré que les contrats les liant aux groupements pétroliers doivent nécessairement englober les pertes essuyées à l’occasion de la gestion 8 . Il a enfin précisé que l’article 2000 du Code civil s’opposait à ce que les parties mettent conventionnellement à la charge du mandataire les pertes qui ont pour origine un fait imputable au mandant 9 .
Le syllogisme devient dès lors tentant : considérant qu’un mandataire ne peut juridiquement et contractuellement accuser de pertes dans l’exercice de sa mission ; et qu’un commissionnaire est par nature investi d’un mandat de vente ; ce dernier devrait-il être obligatoirement prémuni contre tout risque de clôturer déficitaire ?
Il s’agit là à notre sens d’un juridisme un peu court. Si le commissionnaire doit percevoir une rémunération lui permettant de couvrir ses coûts, la loi ne lui octroie pas la capacité de dépenser sans compter. Les dépenses qui relèveraient donc de ses propres décisions doivent lui incomber. Là encore, il est essentiel de revoir le contrat le liant avec le donneur d’ordre et de s’assurer que celui-ci prévoit certains garde-fous. Enfin, nous sommes d’avis que le mandat donné au commissionnaire ne vaut pas pour l’intégralité des activités exercées communément au cours de l’exercice, mais pour chaque opération de vente. Dès lors qu’une vente est formée, alors le commissionnaire doit percevoir une rémunération adéquate. Si la demande s’effondre et qu’aucune vente n’est réalisée, alors on pourrait considérer que le commissionnaire n’est pas fondé à réclamer sa commission. En cas de baisse significative des ventes affectant toute la chaîne de valeur, ceci pourrait ainsi justifier des pertes dans le chef du commissionnaire.
Comment allouer les pertes entre les parties à une transaction intragroupe ?
La démarche la plus logique serait de répartir celles-ci au prorata de l’apport de chaque partie dans la chaîne de valeur totale. En pratique, cela revient à mettre en œuvre la méthode dite « du partage des bénéfices » (qui s’applique corrélativement aussi aux pertes) décrite par l’OCDE 10 .
Cette méthode, qui fut longtemps réservée aux transactions au titre desquelles les parties apportent des contributions uniques et de grande valeur (des biens incorporels uniques par exemple), retrouve une nouvelle vigueur sous l’impulsion des travaux BEPS. L’Organisation milite en effet pour un recours accru à cette démarche, en raison des faiblesses connues des méthodes traditionnelles, ou de la « méthode transactionnelle de la marge nette », qui demeure la plus répandue. On la retrouve d’ailleurs au premier plan dans les récents travaux sur le Pilier 1 et l’approche unifiée conduisant à terme à de nouveaux droits d’imposition des Etats.
Cependant, force est de constater que la méthode du partage des bénéfices est complexe à mettre en œuvre et requiert l’emploi d’agrégats comptables et économiques délicats à récupérer dans des groupements multinationaux. Pour l’heure, l’expérience montre que les autorités administratives manquent encore de maturité dans l’utilisation de cette méthode et tendent ainsi à l’écarter au profit des formules plus classiques, à l’instar de la méthode transactionnelle de la marge nette.
Exit donc le partage des bénéfices. Pour tester la nature de pleine concurrence d’une transaction, il nous paraît plus propice et plus simple de calculer une rémunération théorique, telle que tirée de l’activité si celle-ci avait été conduite à une période normale. Dans les faits, ceci revient à octroyer une profitabilité assise sur une base appropriée (les coûts supportés ou les ventes réalisées) et définies théoriquement à partir d’agrégats connus, anticipés et déconnectés de tout évènement extraordinaire comme l’actuelle crise qui sévit. Les budgets, dès lors qu’ils sont élaborés de concert entre les deux parties à la transaction peuvent servir de référence adéquate. Leur fiabilité sera d’autant plus grande si par le passé, il peut être démontré que les variations entre les projections issues des budgets et les données réelles comptabilisées à la clôture de l’exercice était faibles. Eventuellement, ce décalage pourra même servir de variable d’ajustement dans la mise en œuvre de notre méthode théorique.
En cela, cette démarche rejoint celle précédemment validée par le juge de l’impôt dans l’affaire Unilever 11 . Au cas d’espèce, la société fabriquait de la margarine sous la marque Astra et la revendait à une société belge appartenant au même groupe. A l’issue d’une vérification de comptabilité, l’administration avait remis en cause les prix consentis à la vente au motif que la marge de la société était devenue structurellement déficitaire. Non seulement son résultat d’exploitation (qui tient souvent lieu de référence pour l’administration) était négatif, mais sa marge brute l’était tout autant, dans la mesure où la société ne parvenait pas à couvrir ses coûts de fabrication. La société arguait que cette situation provenait de l’obsolescence des unités de production, ce qui, ramené à un autre environnement, correspond à une situation où le site ne fonctionne pas dans des circonstances normales et stables.
La Cour a écarté les velléités de l’administration, rejoignant en ce sens les préconisations de son Commissaire du gouvernement. Celui-ci considère avec une sagesse toute économique « qu’un fabricant a intérêt à vendre à perte pour couvrir ses frais variables et une partie de ses frais fixes, en d’autres mots, pour survivre ». Dans ses conclusions, il liste en outre les cas au titre desquels facturer à perte est parfois le seul moyen pour une entreprise de vendre au prix du marché. Le dernier cas correspond à une entreprise en difficulté, en raison de la conjoncture. Alors vendre à perte pour vendre au prix du marché, peut être le moyen de continuer l’exploitation en couvrant une partie des frais fixes, le temps nécessaire pour investir, voire se reconvertir. De surcroît et toute considération commerciale mise à part, on rappellera en outre que le juge de l’impôt n’écarte pas par principe l’avantage que procure une facturation anormale entre entreprises liées entre elles, si elle est le seul moyen de maintenir l’emploi sur un site 12 .
Pour apprécier avec un regard neuf l’anormalité éventuelle liée aux transactions intragroupes, la Cour préconisait alors de reconstituer les marges si la ligne de production d’Astra fonctionnait selon des standards normaux, c’est-à-dire débarrassés des circonstances extraordinaires qui obéraient ses marges. Dans cet environnement, il nous paraît donc tout aussi concevable de recalculer les comptes de résultats de la société en la replaçant dans une situation stable et pérenne, par exemple, en prenant en compte les budgets réalisés avant la crise. Les coûts non anticipés, qui découlent donc des effets de la crise, ne seront pas pris en considération, alors même qu’ils vont obérer la marge nette totale de la société.
Quels comparables utiliser pour tester la nature de pleine concurrence des transactions ?
On l’a vu précédemment, il devrait être non seulement permis, mais parfaitement défendable d’accuser des pertes au titre de transactions intragroupes, même si initialement la politique de prix de transfert pouvait prévoir une marge à octroyer à la société. Cette démarche connaît néanmoins une limite, celle de refléter des conditions de marché. Il faut donc pouvoir démontrer que placés dans une même situation, des sociétés indépendantes et comparables ne feraient guère mieux. Ceci renvoie donc à la problématique de trouver des comparables fiables permettant d’asseoir notre argumentation.
Il est évident que les comparables disponibles actuellement sur les bases de données n’intègrent pas les effets économiques de la pandémie de Covid-19. A l’heure où nous couchons ces lignes sur le papier, les données les plus récentes concernent les exercices clos au 31 mars 2019, soit un an en arrière. A l’époque, personne n’imaginait ce que traverserait le monde et votre serviteur ignorait ce qu’est un pangolin. Il est donc nécessaire d’ajuster artificiellement les comparables auxquels il est possible d’avoir accès. De tels ajustements sont qui plus est permis et recommandés par l’OCDE, pour justement neutraliser les différences observables dans les facteurs de comparabilité, au titre desquels figurent les circonstances économiques.
Une première solution pourrait alors consister à appliquer la baisse observable en pourcentages sur un secteur ou un pays donné et issue des statistiques tenues par l’INSEE, l’OCDE, ou d’autres organismes professionnels, sur les marges des comparables.
Une méthode alternative, ou corroborative, pourrait consister à calculer la rentabilité d’une activité sur les mois de l’exercice qui n’avaient pas encore été touchés par la crise. Ce faisant, il serait possible de renvoyer une image réelle, observée sur une période normale. Ces données seraient ensuite comparées aux références les plus récentes issues de bases de données. En cas d’adéquation, il serait dès lors permis de conclure que, hors cas exceptionnels tels que l’actuelle crise, la politique de prix de transfert conduite jusqu’alors reflétait un état de pleine concurrence. Cependant, cette démarche ne fonctionne que pour les sociétés ne clôturant pas au 31 décembre et pour lesquelles une plage de mois suffisamment représentative est disponible.
Une troisième piste pourrait enfin consister à rechercher le comportement des comparables retenus pour tester précédemment la politique de prix de transfert, au cours de périodes de crise. Par exemple, dès lors qu’un panel de comparables a été utilisé en 2019, il serait intéressant de regarder la variation des marges de ces mêmes comparables lors des crises financières de 2008 et 2010. Bien évidemment, malgré leur violence à l’époque, force est d’admettre que ces crises étaient sans commune mesure avec celle que nous connaissons aujourd’hui. Mais cette démarche aura au moins pour effet de démontrer que des sociétés indépendantes, réputées comparables, peuvent aussi voir leurs résultats chahutés lors de périodes troubles. Ceci permettra encore une fois d’arguer aux yeux de l’administration que des entreprises endossant un profil similaire, même « limité », peuvent souffrir économiquement sans être prémunies contre les pertes.
Est-il possible de suspendre ou modifier les contrats intragroupes ?
La matière des prix de transfert est certes fortement empreinte de théories économiques, elle n’échappe pas pour autant aux conceptions juridiques les plus élémentaires, à commencer par la force obligatoire des contrats. Avant toute action, il est donc impératif de revoir avec un œil critique le contenu des conventions intragroupes afin de s’assurer des conditions permettant éventuellement de suspendre, résoudre ou modifier les conditions de l’exécution d’un contrat.
Une première tentation pourrait consister à invoquer la force majeure. Rappelons-le, constitue un cas de force majeure, un évènement indépendant de la volonté du débiteur, irrésistible et imprévisible au moment de la conclusion du contrat 13 . Son intérêt est qu’elle entraine une exonération temporaire ou définitive de l’exécution des obligations et la résolution du contrat, selon le cas, ce qui dans le cas présent pourrait permettre aux parties liées de déroger aux politiques de prix de transfert.
De fait, la force majeure n’a jamais été reconnue jusqu’alors s’agissant d’évènements de pandémie puisqu’ils n’ont pas, jusqu’à aujourd’hui et fort heureusement, suffisamment affectés les activités des acteurs économiques. Il pourrait en être différemment s’agissant du Covid-19, tant on peut déjà noter certaines décisions prises par les juridictions, mais dans des cas particuliers de la rétention administrative ou de mesures administratives d’éloignement d’un étranger. Dans ces cas spécifiques, les juges ont considéré que l’impossibilité d’agir résultant de la pandémie constituait bien un cas de force majeure, notamment en raison de la fermeture des frontières. A ces exemples éloignés, on serait également tenté d’ajouter la référence à la position générale prise par Bruno Lemaire en matière de marchés publics, selon laquelle l’Etat va considérer le coronavirus comme un cas de force majeure pour les entreprises.
En tout état de cause, il est essentiel de vérifier les termes des clauses relatives à la force majeure dans les contrats et les conditions générales éventuellement applicables, ainsi que la procédure à respecter, le cas échéant. En effet, les règles prévues contractuellement pourraient être plus souples que celles du droit commun, qui ne sont que supplétives. Il n’en demeure pas moins qu’il sera plus difficile de retenir un paiement sur le fondement de la force majeure, les juges considérant que celui-ci n’est pas fondamentalement empêché.
Aussi, dans certaines situations, il pourrait être davantage opportun d’examiner si l’imprévision peut être plus utilement invoquée que la force majeure. En effet, ne constituent pas des cas de force majeure les circonstances difficiles qui ont rendu particulièrement onéreux mais pas impossible l’exécution de l’obligation. Dans ce cas, peut être envisagée la renégociation du contrat, ce qui entre parties liées, s’avère logiquement plus aisé. Dans ce cadre, les parties pourraient légitimement apporter quelques aménagements temporaires à la politique de prix de transfert et notamment, transgresser la méthodologie de rémunération, tout en prévoyant une répartition adéquate et juste des pertes.
Quel impact produisent les dispositions réglementaires exceptionnelles sur les politiques de prix de transfert ?
Pour accompagner leurs contribuables dans cette tourmente, la très grande majorité des Etats a adopté dans l’urgence des mesures exceptionnelles, certaines visant à réduire la charge fiscale, ou d’autres, à l’instar de la France, préférant le report ou l’aménagement calendaire. Certaines corporations ont même obtenu des aides temporaires, prenant la forme de subventions, de remises gracieuses ou de libéralités (notamment des prêts à taux zéro). Mais dès lors qu’elles influent sur le résultat de la société, se pose alors la question du traitement de ces mesures du point de vue du calcul de la méthode prix de transfert. La plupart des méthodes en effet vise à attribuer une marge fixe à la partie testée. Doit-on alors intégrer ces subventions dans le calcul de cette marge ?
En substrat, cette question renvoie irrémédiablement à la décision Philips du Conseil d’Etat 14 . Il était alors question de savoir si, aux fins de calculer la marge nette sur la base de coûts totaux que la société Philips refacturait à sa mère, celle-ci était en droit de déduire le crédit d’impôt recherche dont elle bénéficiait de la base de coûts sujette à refacturation. Fort logiquement, l’administration répondait par la négative, en arguant que les subventions reçues avaient la nature de subventions d’investissement et demeuraient donc étrangères aux dépenses d’exploitation, qui forment la base de la méthode prix de transfert retenue par le groupe. Le juge de cassation a cependant annihilé les prétentions du service, confirmant en cela la décision d’appel, au motif que l’administration n’avait pas démontré que des entreprises indépendantes, placées dans des conditions comparables, n’auraient pas déduit le montant du CIR de leur base de calcul.
Si cet arrêt ne tranche malheureusement pas la question de fond (comment prendre en compte les subventions dans le calcul de la méthode de prix de transfert), elle a le mérite de renvoyer au comportement « normal » des parties sur le marché libre. A ce titre, il est peu probable qu’en période de crise, où chaque acteur de la chaîne de valeurs est affecté, une partie à une transaction fasse supporter à l’autre le poids du cadeau pourtant offert par un autre, l’Etat en l’occurrence. En d’autres termes, les éventuels avantages exceptionnels reçus ne devraient pas venir s’ajouter à la base de coûts sujette à la méthode du prix de revient, ni en sens inverse, venir diminuer l’assiette retenue au titre de la méthode du prix de revente. Qui plus est, pour apporter la preuve d’une anormalité liée à la non prise en compte de ces subventions, il faudrait encore pour l’administration réussir à produire des références comparables fiables, ce qui, en l’état des bases de données actuelles, relève d’une mission impossible.
Reste qu’une décision plus récente pourrait jeter le trouble sur notre position. Dans son arrêt Laps France 15 en effet, le juge du fond avait considéré que le contribuable devait refacturer la CVAE au même titre que ses autres coûts d’exploitation à sa partie liée, dès lors que la méthode adoptée par le groupe enjoignait de refacturer la totalité des coûts d’exploitation. La CVAE ayant été comptabilisée dans un compte de charges de gestion courante (et non d’impôts), elle tombait mécaniquement dans l’assiette sur laquelle la marge nette s’appliquait. Il nous semble cependant que ce raisonnement souffre de plusieurs failles, en plus de renvoyer à une problématique sensiblement différente de celle analysée dans ces lignes.
En effet, dans cette affaire, il était question de refacturer une charge venant grever le profit de l’entreprise, et non une subvention reçue. Si les avantages perçus devaient être refacturés, la société en bénéficierait mécaniquement deux fois, en plus comme on l’a vu de condamner un peu plus ses partenaires économiques. En outre, une analyse de comparabilité sur des bases de données, ajustée comme nous l’avons suggéré plus haut, produirait à n’en pas douter des marges largement amputées, là où celle de notre comparables serait nécessairement augmentée.
En définitive, les avantages, subventions et autres libéralités perçus devraient être considérés comme des produits exceptionnels et partant, échapper au calcul de toute méthode de prix de transfert.
1 Le 31 mars 2019, le Cadre Inclusif de l’OCDE et du G20 sur le BEPS a publié son « Programme de travail pour développer une solution de consensus répondant aux défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie ». Ce document, adopté par les 129 membres du Cadre Inclusif, a été approuvé par les ministres des finances du G20 les 8 et 9 juin 2019.
2 Voir sur ce sujet « OECD, FORUM ON TAX ADMINISTRATION, Tax Administration Responses to COVID-19: Measures Taken to Support Taxpayers, 26 March 2020 », disponible sur le site de l’OCDE.
3 OCDE, Perspectives économiques de l’OCDE, Rapport intermédiaire Coronavirus : l’économie mondiale menace, 2 mars 2020, disponible sur le site http://www.oecd.org/perspectives-economiques/
4 En France, l’article 57 qui constitue la pierre angulaire de notre réglementation des prix de transfert a depuis longtemps été reconnu compatible avec l’article 9 du modèle de convention de l’OCDE qui intègre le principe de pleine concurrence. Voir par exemple CE, arrêt du 14 mars 1984, n° 34430 et n° 36880.
5 Voir en ce sens CE 25 nov. 2009, 3ème et 8ème ss sect. réunies, n°307227, Cie Rhénane de Raffinage.
6 Conclusions M. Geffray sous CE 25 nov. 2009, 3ème et 8ème ss sect. réunies, n°307227 au BDCF 2010 2/10 n° 106.
7 Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, juillet 2017, §3.10.
8 Cass com 17 déc. 1991, n° 89-20688 ; 90-11661.
9 Cass com 26 oct. 1999, n° 96-20063.
10 Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert, §2.114 et suivants.
11 CAA Versailles, 6ème ch. 5 déc. 2011, n° 10VE02491.
12 Par exemple CAA Nancy 6 mars 1996 société Nord éclair n° 94-1326 n°1464.
13 Article 1218 du code civil.
14 CE 19 sept. 2018, n°405779, Sté Philips SAS.
15 TA Montreuil, 9ème ch. 14 février 2019, n°1801945.